C'est un principe assez simple, en démocratie: un homme, un vote. Pardon, nous ne sommes plus en 1807, donc, je reformule: une personne, un vote. Pourquoi? Parce que tout le monde, dans une démocratie occidentale, est (roulement de tambour) égal.

Il y a des variations, bien sûr, des mesures de compensation. Les États-Unis ont un Sénat qui donne deux représentants à chaque État, contrepoids régional à la Chambre des représentants, où chaque État envoie un nombre variable (qui change tous les 10 ans, à la faveur du recensement) de députés, basé sur la population.

Mais le principe, grosso merdo, est celui du one man, one vote, en Occident.

Il y a des variations, disais-je. Au Québec, c'est une personne, un vote. Mais, dans certains cas, c'est «une personne, un vote et quart». Ça reflète le territoire, immense, de la province.

Il y a au Québec 125 circonscriptions, où vivent en moyenne 46 579 électeurs. La loi prévoit que le nombre d'électeurs dans une circonscription peut varier de plus ou moins 25% par rapport à la moyenne provinciale. Au-dessus ou au-dessous de la barre des 25%, il faut redessiner les frontières de la circonscription.

Ainsi, Orford, avec 58 036 électeurs, dépasse la moyenne de 24,6%. Pas besoin de redessiner les frontières d'Orford. Nicolet-Yamaska compte 35 397 électeurs: 24,01% de moins que la moyenne. Pas besoin de «rénover» ses frontières.

Masson excède de 44% la moyenne provinciale. Ce coin-là de la banlieue de Montréal devrait être redessiné pour y ajouter un siège. Gaspé est en déficit de 40%. Ce coin-là de la Gaspésie devrait être repensé. Et perdre un député.

Vingt-neuf circonscriptions sont hors de la zone de la règle des 25%. Le Directeur général des élections (DGE), fidèle à son mandat, a travaillé à une refonte à partir de 2008. Son plan: trois circonscriptions de moins là où la population baisse (Gaspésie, Beauce, Bas-Saint-Laurent) et trois de plus là où elle augmente (autour de Montréal).

Inquiets, des maires ont créé la Coalition pour le maintien des comtés en région. Je les comprends. Je ne serais pas heureux, moi non plus, de perdre un siège à l'Assemblée nationale si j'étais maire en Beauce ou dans le bout de Rimouski.

Devant le tollé, le gouvernement de Jean Charest a torpillé la refonte proposée par la Commission de la représentation électorale du DGE. C'est une patate chaude qui, de toute façon, indisposait aussi le PQ, pas plus frétillant à l'idée de se mettre à dos les régions.

Mais il faut quand même dépoussiérer la carte électorale. Il faut le faire avec le consentement unanime de l'Assemblée nationale. Le PQ est arrivé avec des termes bolchevisants - «occupation dynamique du territoire» et «représentation effective des régions» - pour apaiser l'électorat non urbain.

En clair, si la proposition péquiste est acceptée, les régions ne perdront pas de circonscription. Même si l'exil des citoyens fait baisser leur poids démographique.

Traduction: Gaspé, en déficit de 40% par rapport à la moyenne provinciale de 46 579 électeurs, survivrait, intacte, à la refonte. Donc, ça signifie que le vote du citoyen de Gaspé «pèse» 40% de plus que celui de la moyenne des Québécois. Et si l'exode se poursuit, le vote des Gaspésiens «pèsera» de plus en plus lourd.

Bien sûr, le Québec est vaste. Il faut tenir compte de l'immensité géographique. On en tient compte. Ungava (25 404 électeurs, -45%) et les Îles-de-la-Madeleine (10 880, -76%) bénéficient d'«accommodements raisonnables» parfaitement justifiables vu leur isolement.

Mais ça arrête où? Je ne sais pas. Pour le PQ et le PLQ, il n'y a pas de fin: ces deux partis ne vont tout simplement pas risquer de se mettre les régions à dos.

Je pensais que la députation péquiste de Montréal serait outrée qu'on prive la région de Montréal de trois sièges pour apaiser les régions. Je me trompais. Nicole Léger, députée de Pointe-aux-Trembles, est fière d'être «solidaire avec les régions». La règle des 25% du DGE? Arbitraire, selon elle: «Les gens quittent Montréal pour la banlieue: faudra-t-il enlever des sièges à Montréal?»

C'était une question rhétorique. Mais pour Mme Léger, c'est clair: la réponse est non. Pour moi: la réponse est oui. Si Montréal se dépeuple, que la représentation à l'Assemblée nationale représente ce fait. Point. Le poids du Québec diminue dans le pays? Idem.

Avant 1964, certains États américains trouvaient toutes sortes d'entourloupettes et de stratagèmes pour éviter que la représentation législative ne soit pas en harmonie avec l'explosion de la population urbaine. La Cour suprême fut appelée à trancher un litige en Alabama, où le «poids» d'un électeur rural pouvait être 41 fois plus élevé que celui d'un électeur urbain. La Cour suprême des États-Unis a réaffirmé le principe «une personne, un vote». Je cite le juge en chef, Earl Warren, dans Reynolds c. Sims: «Les législateurs représentent des personnes, pas des arbres ou des hectares. Ils sont élus par des électeurs, pas par des fermes, des villes ou des intérêts économiques.»