La chef du Parti québécois m'avait dit que, vis-à-vis du Québec, le Stephen Harper minoritaire «fait attention où il met le pied, il ne nous heurte pas». C'était hier midi, peu avant la chute du gouvernement conservateur. Un Stephen Harper majoritaire, ai-je lancé, ne serait-il pas au fond une bonne chose pour le PQ et sa raison de vivre, la souveraineté?

Pauline Marois s'est mise à mastiquer sa salade César un peu plus lentement. Elle a bien pris son temps pour répondre.

«Un gouvernement conservateur majoritaire aurait des valeurs différentes de celles des Québécois», a-t-elle dit avant de faire un long détour pour s'expliquer, en citant la déroute de l'ADQ lors de l'élection provinciale de 2003.

«Mario avait été d'une cohérence absolue: le programme de l'ADQ était clair, de droite. Moins d'État. Il avait bien présenté le programme, entouré d'une bonne équipe. Et il a été battu.»

Pour Pauline Marois, c'est clair: «Le peuple québécois croit en certaines valeurs collectives. Prenez la loi 101, qui heurte certains droits individuels, par exemple.»

Le Parti libéral du Canada, progressiste, «ressemble plus» aux Québécois que le Parti conservateur de 2011, rejeton du Reform Party, selon elle. «Un gouvernement conservateur majoritaire, plus à droite, va heurter le Québec.»

Fin du long détour: «Un gouvernement majoritaire conservateur va sans doute nous donner certaines munitions. En même temps, ça va nuire à quel point à des valeurs environnementales et sociales? C'est le dilemme qu'on a. Je veux que le Bloc soit fort à Ottawa, pour nous défendre. Si je dis que c'est mieux pour le projet de pays mais que le Bloc est moins fort, je ne suis pas plus avancée.»

Mme Marois pige de nouveau dans sa salade quand je lui demande: «Et si les gains du PC se font ailleurs qu'au Québec?»

La députée de Charlevoix sourit, note que nous nageons en politique-fiction et avoue: «C'est mieux.»

Mme Marois roule les yeux quand je lui demande si elle est fatiguée de se faire parler de son déficit de charisme.

«J'ai dit à mes députés: «J'ai participé à toutes les maudites émissions de variétés, j'ai été capable de rire de moi. Et je ne les convaincs pas. Ils ne trouvent pas que j'ai du charisme. Je ne ferai pas de strip-tease, quand même.»»

Elle a la «prétention» - c'est son mot - de pouvoir être première ministre, «même si mon charisme en privé ne paraît pas davantage en public», et d'être celle qui fera la souveraineté du Québec.

J'évoque François Legault, ex-poids lourd des gouvernements Bouchard et Landry, qui a choisi d'aller prêcher dans un «mouvement» aux contours encore flous. Pauline Marois se dit déçue de voir «François» tourner le dos au PQ, «alors que c'est lui qui disait que la sortie du marasme passe par la souveraineté».

Mais des tas de gens sont déjà prêts à voter pour François Legault même s'il n'a pas de parti, pas de programme. Qu'est-ce que ça dit sur la classe politique?

De toute l'entrevue, c'est la question qui a provoqué la réponse la plus passionnée de la chef péquiste.

«On peut bien espérer un nouveau messie qui va tout changer. Mais c'est de la pensée magique. La vie, c'est complexe. Il faut faire des gestes structurants. On pensait, à une certaine époque, que Mario Dumont changerait le monde. Il a déçu, alors qu'il représentait le changement. Moi, je ne dirai pas aux gens qu'on va tout changer facilement.»

Deux trucs, chez Pauline Marois, constituent un mystère pour moi, une sorte de trou noir inexplicable.

Primo, ses difficultés avec la langue anglaise. Comment une femme qui, dès 1985, s'est présentée à la direction du PQ n'a-t-elle jamais pu apprendre l'anglais?

Réponse: «Je vais vous étonner. On pourrait être premier ministre sans nécessairement parler anglais. Le président de la France ne parle pas anglais. Mon point de vue: je dois le parler, par respect pour la minorité anglophone du Québec. Mais je n'ai pas manqué de prévoyance. J'ai pris des cours, j'ai fait des immersions. Je m'améliore. Mais il y a des gens qui ont moins de facilité avec les langues.»

Secundo, ce manoir de L'Île-Bizard. Je n'ai jamais été embêté par la richesse de Claude Blanchet, le mari de Mme Marois, qui a fait fortune dans l'immobilier. Mais comment une sociale-démocrate a-t-elle pu penser un seul instant, en planifiant la construction de ce vaste domaine (mis en vente, depuis, au prix de 8 millions de dollars), qu'elle n'irriterait pas bien des gens?

Réponse, après avoir roulé, encore, les yeux: «Je l'avais prévu. Je me suis dit: Ça n'a pas de bon sens. On va se faire écoeurer! Puis je me suis dit: On vivra avec ça.»

Pauline Marois constate que le PQ de 2011 a un effort à faire pour promouvoir la souveraineté. Elle est le troisième chef depuis la perte du pouvoir, en 2003, et il n'y a pas d'os constitutionnel comme Meech à gruger: «C'est sûr qu'on n'a pas mis de l'énergie comme on l'aurait voulu sur la promotion de la souveraineté.»

Un gouvernement Marois insisterait sur les questions identitaires, «celles qui font rêver», et forcerait Ottawa à se commettre en exigeant qu'il lui cède certaines compétences.

«Les Québécois sont encore convaincus qu'il est possible de réformer le Canada pour que le Québec soit reconnu dans sa différence. Or, toute notre histoire nous démontre que c'est le nation building qui se construit et qui ramène les pouvoirs à Ottawa. Et que, de plus en plus, le Québec est ignoré.»

Mais d'abord, il faut prendre le pouvoir. Et avant, dans un mois, Pauline Marois doit passer le test du vote de confiance des militants péquistes, traditionnellement capricieux. Bernard Landry, on le sait, avait lâché la direction du PQ après un «maigre» 76,2%...

«Avez-vous un pourcentage en tête, Mme Marois, un plancher?

- Oui! Mais je ne vous le dirai pas. Je me le souhaite le meilleur possible.»

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