Que veut l'Alberta? L'Alberta en veut moins. Après deux semaines ici, c'est le mot qui revient le plus souvent dans la bouche des gens. Moins d'État, moins de taxes, moins de lois, moins de sentences bonbons, moins d'obstruction d'Ottawa.

Prenez un exemple: la taxe de vente provinciale. L'Alberta n'en a pas. Vous achetez un bien et la seule taxe est la TPS fédérale, imposée par le gouvernement Mulroney, il y a 20 ans (autre motif de grief envers Ottawa).

«C'est une fierté pour nous, Albertains, de ne pas payer de taxe de vente», explique Reg Blackwell, fermier qui vote dans la circonscription de Crowfoot.

Cette fierté face à l'absence d'une TVQ albertaine est féroce et répandue. Ça dépasse la simple satisfaction du consommateur-contribuable. «C'est un symbole d'identité provinciale», écrit Marc Lisac, auteur d'un livre sur les us et coutumes de la politique albertaine, Alberta Politics Uncovered.

La plupart des Albertains à qui j'ai parlé sont sûrs que si l'Alberta n'a pas de dette et n'a pas de taxe provinciale, c'est parce que les Albertains savent gérer mieux que les autres la chose publique.

«Ça signifie que nous sommes suffisamment responsables, fiscalement, pour ne pas avoir à imposer une autre taxe», m'a expliqué Reg, le fermier de Crowfoot.

Mais en vantant le conservatisme fiscal de l'Alberta, très peu de gens soulèvent cette évidence: la province baigne dans les redevances qu'elle tire de l'exploitation de ses mines, de ses puits de gaz et de son pétrole: 12 milliards en 2007; 11 milliards en 2008; 12 milliards en 2009 et 6 milliards (dans la foulée de la récession) en 2010. Oublier ce fait, c'est comme vanter le talent de Bill Gates pour gérer le budget familial, sans préciser qu'il est milliardaire.

C'est ce qui fait dire à Mark Lisac que, parfois, l'Alberta est incapable de comprendre pourquoi d'autres gouvernements, au pays, n'appliquent pas les recettes albertaines chez eux...

C'est en visitant l'Alberta qu'on réalise que l'État québécois est omniprésent et tentaculaire dans nos vies. En Alberta, le gouvernement provincial tente d'être discret. Prenez le cas des Oilers d'Edmonton, de la LNH, qui veulent un nouvel aréna, au centre-ville.

J'ai dîné avec Don Gregorwich, préfet de Camrose County, dans un pittoresque buffet chinois. Quand je lui ai dit que l'État québécois avait promis 175 millions pour un Colisée II, à Québec, Don a fait de gros yeux. «Le gouvernement provincial, ici, n'est pas un interlocuteur dans le dossier de l'aréna des Oilers. Ici, ce ne serait pas possible. Le gouvernement ne mettrait jamais 175 millions dans ça.»

Je n'ai pas dit à Don que ces 175 millions promis par Jean Charest n'étaient qu'une estimation, que dans les faits, c'est 45% du total, qu'importe le total, que notre PM a promis. Je ne voulais pas que le préfet s'étouffe dans sa soupe won ton...

«Le premier ministre Ed Stelmach ne s'engage pas dans le projet d'aréna des Oilers, observe Frédéric Boily, professeur de sciences politiques à l'Université d'Alberta. Et les Albertains ne s'attendent pas à ce qu'il le fasse.»

Savoir cela, c'est comprendre un peu mieux pourquoi le gouvernement Harper n'a pas donné un sou à Régis Labeaume pour l'édifice des (hypothétiques futurs) Nordiques.

Je disais que les Albertains souhaitent «moins de sentences bonbons», moins de clémence envers les criminels. Le slogan «Tough on crime» répété partout par le PCC plaît aux Albertains.

Les statistiques indiquent que le crime, au Canada, ne connaît pas d'explosion, au contraire? Ce n'est pas grave. Ce qui compte, c'est la perception du crime en général. Le professeur Boily: «Ici, le thème de la loi et de l'ordre a une résonance particulière, qu'on ne comprend pas au Québec. Ça rejoint beaucoup les électeurs. À Edmonton, je vous le dis, on ne se promène pas dans les rues de la même façon qu'on le fait à Québec.»

Il y a un paradoxe dans l'affection qu'ont les Albertains pour la «loi et l'ordre», comme disent les anglo-saxons: leur hostilité au registre des armes à feu. Quand j'ai demandé à Glen Lawes, de Camrose, pourquoi il pourfend un registre pourtant appuyé massivement par les policiers canadiens, il a fait une longue, longue pause...

Pour finalement répondre: «Leurs objectifs sont différents de ceux des chasseurs.»

J'ai dit à M. Lawes qu'on «enregistre» bien nos véhicules, pourquoi le fait d'enregistrer des armes est-il si irritant? Réponse: «C'est le premier pas que l'État prend avant de nous les enlever. C'est plus facile pour l'État de m'enlever mes armes s'il sait que j'en ai et combien j'en ai.»

M. Lawes est un cas particulier de suspicion envers l'État. Mais il trahit bien un sentiment général de méfiance, en Alberta, face à Ottawa.

L'Albertain voit généralement le gouvernement fédéral comme étant au mieux indifférent face à l'Alberta et au pire comme étant hostile à la province. En 1980, Pierre Trudeau a imposé le Programme énergétique national. En assurant aux Canadiens, en pleine récession, des prix en dessous de ceux du marché mondial pour le gaz et le pétrole, le Parti libéral du Canada s'est fait des ennemis pour l'éternité, en Alberta. Un spectre encore agité ici.

En se posant comme le champion du secteur énergétique albertain, le Parti conservateur est donc en parfait synchronisme avec sa base albertaine. «Le PCC est le seul parti qui donne de l'attention à l'Alberta», note Dave Cournoyer, qui anime le blogue Daveberta.ca, sur la politique albertaine. Ce faisant, le PCC défend une industrie qui emploie des milliers de personnes dans la province, tout en se présentant comme le parti anti-Ottawa.

Pas étonnant que l'Alberta, socle électoral et idéologique de Stephen Harper, soit une machine à fabriquer des électeurs conservateurs: 27 députés fédéraux sur 28 sont conservateurs. Ils ont raflé, en moyenne, 65% des voix en 2008...

Stephen Carter, organisateur qui a travaillé pour le chef conservateur Joe Clark et pour la chef du Wildrose Alliance, Danielle Smith: «La majorité des gens qui arrivent en Alberta, même s'ils arrivent de circonscriptions libérales, se mettent à voter PCC. La chose est quantifiable. La marque conservatrice est forte à ce point. Vous parlez à vos amis, à vos voisins et vous devenez partie du troupeau. Vous devenez convaincu que le PCC, c'est bon pour vous.»