Un fleuron de la classe politique française est arrêté pour agression sexuelle à New York. La France est en émoi. La France est habituée à ce que ce genre d'histoire reste bien cachée sous les couvertures.

Ce n'est pas moi qui le dis.

C'est le livre Sexus politicus, une enquête des journalistes Christophe Deloire et Christophe Dubois sur les moeurs des «politiques» français, publiée en 2006.

L'enquête de MM. Deloire et Dubois confirme que, en matière de libertinage des élus, la France est une exception culturelle. Elle est, à cet égard, l'exact contraire de la pudique Amérique.

Le politicien américain pris en flagrant délit d'adultère peut raisonnablement s'attendre à ce que la nouvelle fasse la une du Washington Post.

Le président de la République, lui, peut avoir une maîtresse, lui faire un enfant et les loger confidentiellement au palais présidentiel sans jamais être inquiété par les médias, qui tairont la nouvelle.

Ce fut le cas, célèbre, de François Mitterrand.

Bien sûr, on peut admirer la réserve française à l'égard de la vie privée des politiciens. J'en suis. Mais cette réserve n'est pas un désintérêt: Sexus politicus met en lumière l'obsession de l'écosystème politique français pour la vie sexuelle de ses membres.

Un écosystème où les flics et les espions de l'État «renseignent» tel ministre de l'Intérieur ou tel président de la République sur les secrets intimes de tel ennemi, de tel rival, de tel objet de désir...

Ce que MM. Deloire et Dubois décrivent, surtout, c'est un climat de tolérance extrême pour les dérapages sexuels des politiciens français. Un climat où les flics, sur ordre de leurs maîtres politiques, ferment les yeux quand ils surprennent un haut placé dans une position compromettante de nature potentiellement criminelle.

Page 234 de Sexus Politicus: «Plus de 10 ans plus tard, sous un autre gouvernement, le même ancien ministre est interpellé avec un jeune garçon de 15 ans dans le parking souterrain du Centre Beaubourg. Et grâce à une bonne fée, l'affaire sera de nouveau étouffée. Cette indulgence, c'est aussi la limite de ce système bien protecteur pour les notables.»

Plus loin, page 280, à propos de gens célèbres «interpellés dans des positions scabreuses», les auteurs écrivent que l'ancien premier ministre Jean-Pierre Raffarin «raconte d'ailleurs à qui veut l'entendre que généralement, il réglait ça d'un coup de fil avec Sarkozy (alors ministre de l'Intérieur) et que plus personne n'en entendait parler».

Un coup de fil, et c'est enterré.

Revenons à Dominique Strauss-Kahn. Sexus politicus évoque les frasques sexuelles de celui qui était déjà considéré, en 2006, comme «présidentiable». Un chapitre, «L'affaire DSK», lui est même consacré! On y parle de ses avances «déplacées» envers des journalistes françaises, choses sues mais tues, et sa fréquentation d'un club libertin.

Également évoquée par les auteurs: l'histoire troublante de cette romancière de 24 ans, Tristane Banon, qui a dû repousser physiquement les avances de DSK. Aujourd'hui, l'histoire de Mme Banon revient hanter le chef déchu du FMI. Mais à l'époque? Omerta. Page 365: «L'affaire, à l'époque, fait grand bruit dans les arcanes du pouvoir, mais la presse l'ignore.»

Je répète: la presse française sait qu'un fleuron du Parti socialiste a fait ce qui s'apparente à des avances «musclées» à une jeune femme de 24 ans.

Mais la presse n'enquête pas. Elle n'inquiète pas DSK.

Je résume...

Vous êtes un homme politique français. Depuis toujours, vous savez que la France est une exception culturelle, qu'elle n'ébruite pas les incartades privées de sa classe politique. Même quand elles sont d'intérêt public.

Depuis toujours, l'excuse du droit à la «vie privée» couvre commodément toutes les bêtises que vous faites avec votre bite. Même quand ces bêtises sont potentiellement criminelles.

Les journalistes sont de mèche. Comme les flics. Comme vos amis - et même vos ennemis - politiques. On sait. Mais on tait.

Fort de cette impunité, peut-être qu'un jour, alors que vous sortez à poil de la salle de bains de votre chambre d'hôtel, peut-être que le derrière de la femme de chambre vous plaît...

Vous oubliez - la chair est faible - que cette chambre d'hôtel dans laquelle vous déambulez à poil se trouve dans un pays où la culture politique, judiciaire et médiatique est l'exact contraire de celle de la douce France.

Un pays où l'impunité, du moins pour ces choses-là, n'existe pas. Page 208 de Sexus politicus: «Car l'Amérique et le sexe, c'est toute une histoire, et différente de la nôtre. Les pulsions sont les mêmes qu'en France, mais pas les règles sociales.»