Jacinthe Hébert était sous le choc. Elle savait que son fils Manu vivait un secondaire difficile. Qu'il se faisait écoeurer par d'autres élèves. Mais jamais à ce point! Là, la police venait de débarquer dans l'histoire.

Une banale histoire de vol. Un élève avait volé la PlayStation de Manuel. Un autre, dans d'autres circonstances, aurait peut-être passé l'éponge. Mais Manuel avait appelé la police. Et là, à la polyvalente où, en ce mois de mai 2009, Manuel terminait sa 4e année secondaire, le jeune voleur, aux yeux de ses camarades, était devenu... la victime!

Et Manu, le salopard qui avait «osé» appeler la police. Un stool.

L'affaire avait fait grossir le groupe de loups qui, depuis sa 1re année secondaire, minait la vie de Manuel. En voulant se défendre, en appelant les flics, il avait envenimé sa situation de souffre-douleur. Désormais, même des élèves qui ne faisaient pas partie de son groupe de sport-études (option plein air) l'insultaient dans les couloirs de la polyvalente.

Mais ce qui fâchait vraiment Jacinthe Hébert, c'était l'attitude de la directrice de l'école. Un petit groupe de brutes harcelait Manu depuis son premier jour à la polyvalente Sainte-Thérèse.

On lui volait son lunch. On le bousculait. On avait tenté de le mettre dans une poubelle. On le piquait, en sortie de ski de fond, avec les bâtons.

Et cette directrice refusait qu'elle, la mère de Manu, parle d'«agresseurs»!

Jacinthe Hébert n'était pas au bout de ses surprises.Deux ans plus tard, Jacinthe Hébert regarde son Manu raconter son enfer ordinaire à ce journaliste de La Presse. Elle intervient pour donner un peu de contexte, rappeler un détail oublié par Manu.

«Qu'un groupe s'acharne sur celui qui traîne la patte, dit Jacinthe Hébert, ça me fâche. Mais c'est peut-être naturel. Ce que je n'accepte pas, c'est la conduite des adultes en poste à l'école.»

Pour Jacinthe Hébert, c'est clair: la polyvalente Sainte-Thérèse a aggravé le sort de Manuel en le traitant comme un cas encombrant, comme un embarras.

Pendant le dernier mois d'école, qui a passé ses examens en solitaire, isolé des autres? Manu.

Qui passait ses pauses seul, chez le psycho-éducateur? Manu.

Les petits salopards qui l'emmerdaient -sauf deux, finalement expulsés après quatre ans de torture-, eux, n'ont pas été embêtés.

«Évidemment, je trouvais que deux expulsions, c'était peu. La directrice m'a dit: «C'est devenu tellement gros que, même si on en expulsait davantage, d'autres prendraient la place des têtes dirigeantes.»»

La commission scolaire de la Seigneurie-des-Mille-Îles (CSSMI) m'a envoyé une communicatrice professionnelle, Anik Gagnon, pour expliquer l'enfer de Manu. Pas question que je parle à la directrice, aux profs.

«S'il y avait une formule magique en matière de violence, m'a dit Mme Gagnon, on ne serait pas en train de se parler.»

Isoler Manuel pour la fin des classes, en 2009, n'était pas une punition, m'a-t-elle assuré. C'était «une condition gagnante» pour aider le jeune Manuel, «qui nous a dit qu'il ne se sentait plus en sécurité» après l'incident de la PlayStation, où il s'est retrouvé encore plus ostracisé.

D'un point de vue de communications, c'est une position totalement responsable: Eh, le jeune ne se sent plus en sécurité; on a assuré sa sécurité en l'isolant.

C'est drôle, Manuel et sa mère ont une version légèrement différente de la conversation avec la directrice de la polyvalente Sainte-Thérèse, en 2009, une version moins édulcorée que celle de la communicatrice professionnelle de la CSSMI.

«Ce que la directrice nous a dit, relate Jacinthe Hébert, c'est que l'école ne pensait pas pouvoir garantir qu'il ne serait pas ostracisé pendant les examens.»

Aujourd'hui, la CSSMI dit que Manuel, pour sa 5e secondaire, a choisi de changer d'école. C'est vrai. L'école lui a même fait de belles lettres de recommandation où on écrit, noir sur blanc, que Manuel Campeau a vécu du harcèlement et de l'intimidation.

«Mais ce qu'ils voulaient, dit Manuel, c'est que je crisse mon camp.»

Évidemment, la directrice a été plus subtile. Elle n'a pas dit à Manuel et à sa mère: «Crisse ton camp.» Mais quand vous dites à un élève «Es-tu sûr que tu veux vraiment rester?», il y a des chances que l'élève se sente moins bienvenu que si vous lui dites: «Tout va bien aller en cinquième, Manu.»

Manuel a donc choisi de quitter la polyvalente Sainte-Thérèse et le programme de sport-études, qu'il aimait malgré les loups. Pour la 5e secondaire, il irait à l'école de son quartier, Lucille-Teasdale.

Pas si vite!

Vous vous souvenez que la polyvalente Sainte-Thérèse avait expulsé une des petites brutes qui martyrisaient Manu? Lui aussi a été refoulé à son école de quartier. À Lucille-Teasdale.

Qui, pensez-vous, a dû s'inscrire au privé?

Eh oui. Manu. Pas la brute.Cet été-là, après l'école, Manu a fugué. Quand on l'a retrouvé, on a cru bon l'envoyer à l'hôpital Sainte-Justine, en psychiatrie. Pour ne pas le retrouver au bout d'une corde. Mais bon, là, il va mieux. Beaucoup mieux.

Il n'a pas réussi son année, au privé, mais on l'a accueilli humainement, sans le torturer. Excellent pour l'estime de soi.

La Direction de l'indemnisation des victimes d'actes criminels lui a consenti 1000 $, après étude de son dossier, pour une psychothérapie.

Pour son deuxième essai en 5e secondaire, Manu aurait voulu retourner à la polyvalente Sainte-Thérèse, dans le programme de plein air. Maintenant que les loups étaient au cégep, il se disait que ça se passerait mieux, qu'il aurait la paix...

Jacinthe a trouvé que c'était une bonne idée. Elle a laissé, l'an dernier, des messages à la directrice de niveau, la même qui ne voulait pas entendre le mot «agresseur».

La directrice n'a jamais rappelé la mère de Manu.

La CSSMI, elle, dit n'avoir pas de trace «de ces communications».