Wajdi Mouawad est bien connu comme figure marquante de la littérature et de la mise en scène. De livre en pièce de théâtre, le génie de Mouawad est salué par la critique, le public, l'Ordre national du Québec et l'Ordre du Canada. On peut même mettre les Oscars dans le choeur des admirateurs: avant d'être un film quasi oscarisé, Incendies est une pièce écrite par le grand homme.

Mais connaissez-vous Mouawad le mange-Québécois?

Ce Mouawad-là se tient à carreau, ici. Il faut fouiller un peu, disons dans une émission française diffusée en juillet 2009, pour découvrir Mouawad dans son incarnation mange-Québécois.

De généralisations en caricatures et en énormités, Mouawad, interviewé par Catherine Pont-Humbert pour l'émission À voix nue, diffusée sur France Culture, dessine un beau bonnet d'âne sur la tête des Québécois.

D'abord, il raconte le choc qu'il a éprouvé quand il est arrivé au Québec, à 15 ans. Parce qu'il parlait bien français, parce qu'il était premier de classe dans les compositions, parce qu'il portait des lunettes, il passait pour un intellectuel. «Alors que, deux jours avant, je sortais d'un tournoi de rugby. Mais allez dire le mot «rugby» à des Québécois. Ça ne leur disait strictement rien.»

Bien échauffé, Mouawad dit ensuite que les Québécois sont des émotifs qui non seulement parlent mal, mais qui méprisent les idées au profit des émotions. Pas une nuance, pas un bémol quand l'ancien directeur du Théâtre de Quat'sous dit: «En même temps, il y a un constat que je fais très rapidement: mais c'est mal parlé, quoi! C'est mal enseigné, c'est mal parlé. Quand je dis que c'est mal parlé, je parle de mes camarades à l'école, qui font du théâtre, où, petit à petit, je réalise que dès qu'on se met à articuler une idée un petit peu plus longtemps que le minimum requis, on est un intellectuel.

«Et régulièrement, dans cette période d'apprentissage à l'école, j'entendais souvent des acteurs, j'entendais souvent des artistes dire: «Oui, mais moi, je ne suis pas un intellectuel.» C'est opposer l'intellectuel à l'instinctif... Je suis un instinctif, un émotif, c'est-à-dire que l'émotion est beaucoup plus grande; ce qu'on peut dire avec une émotion, c'est pas nécessaire de le dire avec des grands discours.

«Toutes ces idées qui semblent dire que réfléchir et faire état par des mots de sa réflexion est une chose qui appartient aux prétentieux, aux Français, à ceux qui se prennent pour d'autres, c'est enculer les mouches, etc., etc.»

Attendez. Ce n'est pas fini. Le meilleur s'en vient, dans ce monologue qui aurait pu s'intituler Le Québec selon Wajdi. Décrivant le lien qu'ont les Québécois - TOUS les Québécois - avec la langue, le géant du théâtre peint cette scène délirante de ses compatriotes:

«Voilà, vous rentrez dans une épicerie, vous dites: «Lait.» Ça suffit, le type vous donne du lait. Et voilà. Et c'est bon. On va pas dire: «Bonjour monsieur, j'aimerais bien avoir du lait» - à quoi ça sert? Et l'autre qui vous tend le lait, il vous dit: «Une piasse.» Donc, c'est du troc. Je lui donne un mot, qui est «lait»; il me rend un mot, qui est une «piasse», enfin, un dollar. Et voilà. On va quand même pas s'emmerder plus loin que ça, quoi.»

Y a-t-il un refus de la pensée, de l'intellectuel, au Québec? Bien sûr. Est-ce une spécialité québécoise au même titre que la poutine? Non, et c'est là que la caricature que fait Mouawad des Québécois est perverse.

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Quelque part dans ce troisième épisode - intitulé Wajdi, fils de Zeus - d'une série de cinq, Mouawad raconte gravement son refus d'adopter l'accent québécois quand il a débarqué de France, à 15 ans. Comme si c'était un grand acte de résistance! Comme si on demandait aux gens de laisser l'accent français aux douanes en débarquant! Comme si, à 15 ans, on pouvait «remplacer» son accent! N'importe quoi.

La langue est donc devenue un fossé qui s'est interposé entre les Québécois-qui-parlent-mal et Wajdi-à-l'accent-français, si j'ai bien compris ses explications. C'est ainsi qu'il explique à l'animatrice: «Mes amis les plus intimes et les plus proches sont tous des gens qui viennent d'ailleurs.»

J'insiste: Mouawad n'a aucun indigène parmi ses amis les plus proches. Malgré une vie passée ici! J'ai envie de parler de rejet du Québec. Mais, si je me fie à l'entrevue de Mouawad à France Culture, je serais dans l'erreur.

En effet, Mouawad se sent proche de Robert Lepage, qui, comme chacun le sait, n'est pas un joueur de rugby mais un génie de la mise en scène. Comme Wajdi.

Pur hasard, sûrement.

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Ce qu'a dit Mouawad à France Culture à propos du Québec (on se demande les horreurs qu'il peut dire de nous en privé, au fait) tient de la caricature méprisante. C'est donc parfaitement ironique de l'entendre se plaindre dans les journaux parisiens, ces jours-ci, du traitement de l'affaire Cantat par des médias québécois: caricatural, pleurniche-t-il.

On pourrait se demander pourquoi Wajdi Mouawad persiste à habiter ici, dans cette colonie d'hommes de Cro-Magnon réfractaires aux idées et aux intellos à lunettes.

Mais moi, Wajdi, je vous comprends de rester au Québec. Il y a des avantages à vivre parmi des demeurés. Comme celui d'être toujours considéré comme un peu plus génial que vous ne l'êtes en réalité, par exemple?