Le romancier israélien Amos Oz a peut-être prononcé les mots les plus lucides sur la liberté et la guerre. Juste pour ces mots, il faut lire Comment guérir un fanatique, où Oz explique la nature de la tragédie Israël-Palestine. Ça commence à la page 56, quand cet auteur qui flirte régulièrement avec le Nobel de littérature explique son pacifisme: «Je n'ai pas honte d'avoir combattu pendant ces deux guerres [1967 et 1973]. Je ne suis pas un pacifiste au sens sentimental du mot. Et si je devais m'apercevoir qu'un vrai danger menace de rayer mon pays de la carte, et que mon peuple risque d'être massacré, je me battrais une nouvelle fois - même si je suis un homme âgé. Mais je me battrais seulement si je pense que c'est une question de vie ou de mort, et si j'ai l'impression qu'on essaie de me transformer, moi ou mon prochain, en esclave. Je ne me battrais jamais - je préférerais aller en prison - pour de nouveaux territoires. Je ne me battrais jamais pour une chambre à coucher supplémentaire pour la nation. Je ne me battrais jamais pour des sites ou des lieux sacrés. Je ne me battrais jamais pour le soi-disant intérêt national. Mais je me battrais, et me battrais comme un diable, pour la vie et la liberté.»

Une «chambre à coucher supplémentaire pour la nation»? Il faut savoir que, pour Oz, le bon voisinage entre Juifs israéliens et Arabes palestiniens passera forcément par un divorce, divorce qu'il illustre par sa métaphore de la «maison» à diviser: «Et comme l'appartement est tout petit, il sera indispensable de décider qui aura la chambre A, qui la chambre B, qui aura le salon, et de trouver, en plus, un arrangement spécial pour la salle de bains et la cuisine. Vraiment pas très commode...»

Traduction: la paix passe par quelque chose comme le retour aux frontières d'avant 1967. Surtout, la paix sera douloureuse. Israéliens et Palestiniens vont devoir dire adieu qui aux colonies cisjordaniennes, qui à Beer-Sheva.

Et pour ces lieux saints chers aux deux camps (cuisine et salle de bains) comme Jérusalem-Est? Des arrangements particuliers et négociés. Parce que, pour Oz, Juifs israéliens et Arabes palestiniens ont chacun d'excellentes raisons de revendiquer ces terres comme les leurs.

Lire Amos Oz, c'est lire un modéré. C'est en soi une expérience bizarre parce que les protagonistes du conflit israélo-palestinien, ceux qui font les manchettes, sont principalement des fanatiques. Des barbus du Hamas à la frange xénophobe du gouvernement Nétanyahou, les salopards qui crient fort dominent le discours. Ça ne laisse pas beaucoup de place à ceux qui, en marge, comme Oz, parlent sans hausser le ton. Lire Comment guérir un fanatique, c'est cela: lire un homme qui semble incapable de hausser le ton. Ses paroles n'en sont que plus percutantes, même quand on les lit huit ans après la publication de How to Cure a Fanatic, la version originale anglaise.

En Israël, des auteurs comme Oz, comme David Grossman (dont le fils Uri, soldat de 20 ans, a été tué en 2006 quand Israël a attaqué le Hezbollah libanais), jouissent d'un prestige et d'un auditoire considérables. Parole d'Oz:

«Il est fréquent que le premier ministre invite un poète, un écrivain ou un dramaturge à un entretien nocturne en tête à tête. Pas dans son bureau, mais dans sa résidence privée. On vous offrira une tasse de thé, ou un verre, c'est selon. Et le premier ministre vous dira à peu près ce qui suit: "Alors, monsieur Oz (s'il s'agit de moi, ce qui m'est arrivé bon nombre de fois), dites-moi en quoi nous nous sommes trompés et ce qui nous reste à faire." Il va écouter vos réponses avec admiration, sans jamais en tenir compte.»

On pourrait le croire irrité. C'est sans compter l'humour «ozien»: «Même les prophètes en leur temps n'ont jamais réussi à changer les esprits et les coeurs des dirigeants, des rois ou du peuple. Et il serait totalement utopique de croire que nous pouvons réussir là où les prophètes ont échoué.»

Je ne suis allé en Israël-Palestine qu'une fois, en 2009. N'eût été How to Cure a Fanatic - la version anglaise est un peu plus touffue -, je serais peut-être devenu fou. Fou parce que je n'aurais peut-être pas pu nommer ce que j'y ai trouvé, qu'Amos Oz décrit avec brio:

«Au XXe siècle, plusieurs des conflits étaient simples. Le fascisme, le nazisme, l'antifascisme: tout être humain décent savait où se placer, même si vous le réveilliez dans le milieu de la nuit. Colonialisme, décolonisation, apartheid, guerre du Vietnam: si vous étiez un être humain décent, vous saviez de quel côté vous placer. Le conflit au Moyen-Orient n'est pas un de ces conflits. C'est un choc tragique et douloureux entre le bien et le bien, et parfois entre l'erreur (wrong) et l'erreur - très souvent entre l'erreur et l'erreur.»

Quant à la définition que donne Oz du fanatisme et au rôle de l'humour pour combattre ce fléau séculaire, eh bien, il faudra lire Comment guérir un fanatique. Idem pour le lien entre compromis et vie. Je ne peux pas tout faire pour vous, quand même... Vous apprécierez, c'est sûr, la blague juive relayée par Oz, à propos de Dieu et de la religion...

CRIMES  - Avez-vous lu Crimes, de Ferdinand von Schirach? Si oui, prière de m'envoyer vos impressions, par courriel. J'en parlerai bientôt. Si vous ne l'avez pas lu, vous devriez.