Juste comme ça, dans l'esprit altruiste qui me caractérise, je vais révéler une vérité méconnue pour les leaders syndicaux qui s'aventurent à lire La Presse quand ils en ont fini avec L'Aut'Journal.

Commençons par une petite histoire.

C'est celle d'un chauffeur au volant de son autobus. Il file sur un boulevard tout en écrivant. Il est filmé, mais il ne le sait pas. Un passager, à sa droite, qu'on devine assis dans le tout premier siège du bus, le filme avec son téléphone portable. Pourquoi le passager filme-t-il le chauffeur?

Excellente question. Vous pourriez être chroniqueur politique au Journal de Québec. Réponse: parce que le chauffeur, tout en conduisant son bus, écrit sur une feuille de papier. Et pas pendant une seconde: il remplit littéralement ce qui ressemble à un formulaire. Pendant que l'autobus file sur le boulevard.

Bon, à moins que ce chauffeur ne soit l'un des premiers humains à pouvoir observer simultanément deux scènes différentes avec chacun de ses deux yeux, on devine qu'il néglige la route au profit de cette feuille de papier sur laquelle il écrit.

Tout ça se passait en juillet dernier, en Outaouais. Et, bienvenue au XXIe siècle: la vidéo s'est promptement retrouvée sur YouTube, les médias en ont parlé... Le chauffeur de la Société de transport de l'Outaouais a été suspendu.

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C'est une histoire très, très simple. Un chauffeur a fait une connerie. Il est payé pour conduire un bus. Conduire un bus en remplissant de la paperasse sur son volant est dangereux, la STO l'a donc sanctionné.

C'est une histoire très, très simple jusqu'à ce que le syndicat se mêle de l'affaire. Félix Gendron, président de la section locale 591 du Syndicat uni du transport, qui représente les chauffeurs de la STO, trouve que la suspension n'est pas méritée.

C'est son job de trouver que toutes les mesures disciplinaires sont injustes. Et c'est son devoir, m'a-t-il dit: «La loi nous oblige à contester au nom du chauffeur.»

Ce qui pose problème, c'est le zèle de M. Gendron. Je lui ai parlé, lundi, au sujet de cette suspension. Il n'était pas gêné du tout de devoir la contester: «Qui n'a jamais écrit au volant? dit-il. Qui ne s'est jamais maquillé au volant? Et les jeunes qui textent en conduisant? Les médias n'ont pas de nouvelles, l'été, et ils ont sauté là-dessus. C'est certain qu'on va contester. Ce n'est rien de grave.»

J'aime l'idée du syndicalisme. Une société en santé est basée sur des contre-pouvoirs. Le syndicalisme en est un. Je pense que, à son meilleur, le syndicalisme aide à répartir la richesse et à empêcher les travailleurs de se faire plumer. Mais dire des niaiseries pareilles, comme le fait Félix Gendron avec un brio admirable, c'est tout le pire du syndicalisme.

La vérité méconnue, donc, que je vais révéler gratis aux leaders syndicaux: chaque fois que vous défendez l'indéfendable, comme Félix Gendron et son minable chauffeur multitâches, vous créez des antisyndicalistes.

Chaque fois que vous ne condamnez pas les abus manifestes de vos membres, vous aidez le patronat. Vous jouez le jeu de ceux qui rêvent d'une société où le boss est roi, toujours.

Ce n'est pas tout. En parlant de la suspension imposée à son chauffeur, M. Gendron m'a dit ces mots consternants: «Il y a des limites!»

C'est une bonne idée, ça, les limites. Parlons-en: où est la limite, pour un chauffeur de la STO? Que doit-il faire pour que son président de syndicat trouve qu'il va trop loin?

Faire des push-up en tenant le volant avec ses pieds?

Jouer à Angry Birds sur son iPad?

Jouer avec son corps?

On jase, là.

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La meilleure, dans toute cette histoire?

Je lis dans Le Droit d'Ottawa-Gatineau que le président du syndicat des chauffeurs veut qu'on interdise aux gens de filmer dans les autobus. Tellement nono: M. Gendron ne comprend pas qu'on vit dans une époque où le proverbial dentifrice est sorti du tube. La preuve: le chauffeur n'a jamais réalisé qu'il était filmé...

Aussi bien adopter un règlement interdisant la pluie pendant les congés syndicaux.

EN PARLANT DE NONO - Parlons d'un autre nono: moi. Samedi dernier, en parlant de l'aménagement Robert-Bourassa, j'ai stupidement confondu à quelques reprises «barrage» et «centrale». Comme dans: barrage souterrain... Merci à tous les lecteurs qui m'ont corrigé. Heureusement, je ne serai pas suspendu. Je suis syndiqué!