Chère Mme Normandeau,

Vous dire, d'abord, que je ne ferais jamais le métier que vous venez de quitter. Ça vous surprendra peut-être, mais j'ai une réelle admiration pour les députés. Voici un métier de fou.

Je vous dis ça sans penser particulièrement au travail parlementaire. Je pense plutôt à ces samedis matins où vous avez dû rouler sur la 132, en route pour la mise au jeu officielle d'un tournoi de hockey bantam ou pour l'ouverture d'un centre communautaire, à deux heures de route.

Je pense à ces soirs où vous pensiez pouvoir souper en paix après une journée de fou, pour passer en mode gestion de crise, à 21h, quand Denis Lessard de La Presse téléphonait à votre attaché de presse avec des informations explosives à vérifier...

Je pense à tous les aléas de la vie de député, de ministre. Je ne ferais jamais ça. Je ne serais jamais capable de garder mon sourire quand, au comptoir des légumes du IGA, quelqu'un s'aviserait de me raconter ses problèmes de permis Y avec le ministère Z.

Je vous comprends, après 13 ans à représenter une circonscription grande comme un petit pays, à l'autre bout du monde, de vouloir passer à autre chose. Treize ans en politique, ça lessive.

C'est pourquoi je ne suis pas dans le camp de ceux qui lèvent les sourcils devant votre prime de départ de 150 000$. Je trouve que ce n'est ni trop ni pas assez, je trouve que c'est mérité.

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Je dois vous dire, cependant, que j'ai levé un sourcil quand je vous ai entendue dénoncer le cynisme face à la classe politique.

J'imagine que si vous êtes comme la plupart des élus, vous trouvez probablement que les journalistes, dont je suis, sont de grands producteurs de cynisme.

Je ne dis pas que nous ne contribuons pas au cynisme ambiant. Mais je crois que les citoyens ont raison d'être déçus par la politique et par les politiciens et que, la plupart du temps, ils n'ont pas besoin des médias pour l'être.

En agissant si souvent comme des moutons à la botte de la discipline de parti, comme des larbins (in) volontaires à la solde d'intérêts financiers particuliers, en passant sous silence les dérives éthiques des collègues de leur parti, vous produisez autant de cynisme que le barrage de la Romaine produira de mégawatts.

Ai-je dit «passer sous silence les dérives éthiques des collègues de leur parti» ? Pardon, j'aurais dû dire: «en applaudissant les dérives éthiques» de ceux-ci.

J'ai en tête une image, Mme Normandeau, qui incarne tout ce qu'il y a de pourri en politique. Il s'agit d'une photo prise le 29 mai 2010. Elle montre Tony Tomassi, alors ministre de la Famille, debout à l'Assemblée nationale, l'air grave. Autour de lui, ses collègues libéraux l'applaudissent.

Ce qu'on reprochait alors à M. Tomassi, vous le savez bien, était absolument terrible, d'un point de vue politique. Ça ne méritait aucun applaudissement. Ça méritait un coup de pied au cul. Il est venu, ce coup de pied de votre boss, plus tard. Trop tard.

Et... voulez-vous qu'on parle du refus obstiné de votre gouvernement d'aller au fond des choses, avec une enquête publique, sur le triangle fric, construction et politique?

Voyant cela, ce qui est étonnant, ce n'est pas qu'il y ait du cynisme. C'est qu'il n'y en ait pas davantage.

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Je n'ai aucun cynisme, je vous l'ai dit, devant ces élus qui, ayant travaillé pendant des années comme des demeurés, souvent au détriment de leur vie familiale, se voient remettre une indemnité de départ.

Mais j'ai un cynisme illimité quand d'ex-ministres s'en vont travailler dans des industries qui relèvent des ministères qu'ils ont pilotés. Voyez Philippe Couillard, par exemple, passé de ministre de la Santé à patron dans une firme qui fait de la santé un business. Ou Guy Chevrette, la preuve qu'on peut être dans une même vie ministre responsable des Forêts et porte-parole des industries qui font des profits avec la coupe des arbres.

Mme Normandeau, je vous souhaite une vie professionnelle heureuse, après la politique. Je nous souhaite que vous n'aboutissiez pas sur le payroll d'une industrie d'un domaine dont vous avez été, ces dernières années, ministre.

Ce serait, vous en conviendrez, le comble du cynisme.