Il y a quelque temps de cela, alors que je faisais des emplettes pour ma légendaire soupe minestrone, un monsieur et sa dame m'arrêtent pour me parler d'une vieille chronique sur l'intimidation à l'école. La dame en avait été fort touchée, pour mille raisons.

«Merci, madame, merci, on fait ce qu'on peut... Et vous, monsieur, vous faites quoi?

- Flic. À la SQ.»

Il n'avait pas l'air d'un policier - je veux dire qu'il n'avait pas l'air de sortir de chez Moores. Nous avons commencé à parler d'un tas de trucs impliquant le travail de la police, juste là, dans les allées, à côté des saucisses, entre les clients que nous gênions...

J'ai fini par dire au flic, le plus délicatement du monde, que je ne crois pas que l'escouade Marteau épinglera un jour un gros poisson, le genre de poisson qui, une fois pêché, embarrasse la barque du gouvernement, parce que, bon, voyez-vous, je pense que, enfin, comment dire...

Il a complété ma phrase, avec un sourire résigné:

«Parce que la SQ est une police politique.»

Pas de point d'interrogation. Un fait.

Une police politique soft, pas la Stasi, bien sûr. La SQ ne fait pas les sales jobs de l'État. Mais elle ne mord jamais l'État non plus. Une autre forme de protection...

Ce qui m'amène à cette nouvelle publiée hier dans La Presse: un flic anonyme de la Sûreté du Québec a écrit à Fabrice de Pierrebourg pour lui donner la vision non officielle de l'interne sur ces enquêtes lancées contre des filous du triumvirat politique-fric-construction.

Extrait: «La SQ est une excellente organisation policière. Cependant, j'ai le regret de vous apprendre qu'il n'y aura aucun membre du gouvernement actuel qui sera accusé par la SQ ou l'UPAC. Pourquoi? Dans notre système actuel, il n'y a aucune indépendance entre le pouvoir policier et le pouvoir politique et c'est ce dernier qui dicte ses ordres au DG et aux DGA de la Sûreté.»

En quatre phrases, ce flic résume ce que savent tous les journalistes qui parlent à des flics depuis des mois: la Sûreté du Québec n'a jamais embêté le pouvoir, et elle ne l'embêtera jamais.

En quatre phrases, ce flic résume ce qui suinte de l'escouade Marteau, depuis deux ans, hors du cadre rose des communiqués de presse: fouiller dans les banlieues sans conséquence, oui, les boys, allez-y... Mais quand les boys ont des pistes qui remonteraient vers des gens qui pèsent plus lourd politiquement, ouain, ben, les boys, êtes-vous vraiiiiiment sûrs que vos pistes sont sérieuses?

Bien sûr, le porte-parole de la SQ, en lisant ces lignes, va faire la danse du bacon, va s'insurger, déchirer sa chemise, jurer ses grands dieux que «personne n'est à l'abri d'une enquête policière»...

Le hic, c'est que l'histoire des 25, 30 dernières années nous montre le contraire. La Sûreté du Québec ne coffre pas de politiciens, de hauts fonctionnaires ou d'organisateurs politiques de calibre.

De deux choses l'une: ou notre classe politique est exceptionnellement propre et intègre, ou notre police est exceptionnellement castrée et incapable de l'inquiéter, cette classe politique.

Mais, bon, répétez après moi le mantra du premier ministre, que répètent ses moutons libéraux: «Il faut laisser la police faire son travail... Il faut laisser la police faire son travail... Il faut laisser la pol...»

J'ai toujours dit que sacraliser les enquêtes de police, dans ces affaires de mafia qui flirte avec le fric du public et la politique, est un écran de fumée: il arrivera quoi, si un accusé plaide coupable?

Il arrivera ceci: la preuve sera scellée. Inaccessible.

Ce n'est pas une enquête de police, mais prenez l'enquête du DGEQ sur les contributions illégales d'Axor, géant du génie d'ici, aux partis politiques. Pour 150 000$ de fric refilé au PLQ (principalement), au PQ et à l'ADQ. Sous des prête-noms, juste ça!

Pourquoi? Comment ça fonctionnait? Qui a demandé quoi à qui, chez Axor? Qui savait, chez les grands patrons d'Axor?

On ne sait pas. Axor a plaidé coupable. Fin du dossier. On ne saura pas.

Avec une commission d'enquête publique, on pourrait mettre les boss et les employés d'Axor dans un box et leur poser des questions. Sous serment. Remonter des pistes. Faire jaillir la lumière, quoi.

Mais une commission d'enquête publique, ça se contrôle salement moins bien qu'une police politique.