«Au-delà de l'avenir du Parti québécois et du mouvement souverainiste, ce qui m'inquiète, c'est que je crois que le nationalisme québécois joue actuellement son avenir.»

C'était lundi soir dernier. La nuit était douce, et le député Bernard Drainville roulait en direction de Québec pour la rentrée parlementaire du lendemain.

Interviewer le député de Marie-Victorin sur la 20, après cet été terrible pour le PQ, c'était mon idée. Après m'avoir dit sa déception de voir son caucus accueillir avec «tiédeur» ses propositions de réformes démocratiques, Drainville a dévié sur la question, plus large, du sentiment nationaliste des Québécois.

«L'esprit nationaliste, cette énergie particulière, c'est quoi? C'est ce qui fait qu'on se comprend, qu'on rit des mêmes blagues, qu'on comprend La petite vie, c'est notre fierté dans un destin commun, c'est notre rage de vivre, différemment, en Amérique.»

Pour Drainville, le nationalisme est le «tronc commun» qui anime la vie politique du Québec depuis des siècles, un trait qui transcende les allégeances fédéraliste et souverainiste.

«La souveraineté de Lévesque et le fédéralisme réformateur de Bourassa sont issus de ce tronc commun. C'est l'idée qu'on n'accepte pas le statu quo, qu'on réclame au fédéral plus d'argent, plus de moyens, plus de pouvoirs. C'est l'idée qu'on est une nation et qu'il faut la rendre toujours plus forte...»

Or, dit-il, «le fédéralisme à la Charest» ne réclame rien à Ottawa depuis 2003, «se contente du statu quo», à une époque où, lui, perçoit des signes «inquiétants» chez les Québécois quant au sentiment nationaliste.

«Je note la relative indifférence avec laquelle les statistiques sur la langue française sont accueillies. Je vois la nonchalance avec laquelle le Bloc québécois a été écarté, la perte d'intérêt pour l'option souverainiste, les déchirements au PQ...»

Il voit tout ça et constate: «Ça pose la question de notre avenir national. A-t-on encore le goût de se battre en gang? De mener des batailles pour assurer notre destinée?»

Les lumières de la Rive-Sud étaient loin derrière nous, l'odeur du fumier des régions agricoles a envahi l'habitacle de la Nissan du député. J'avais la curieuse impression non pas d'interviewer le député, mais de l'écouter réfléchir à voix haute.

Pour comprendre la brochette de réformes démocratiques proposées par Drainville - en marge et je dirais à l'encontre de son parti -, il faut comprendre que le bouillant député de Marie-Victorin est atterré par l'ampleur de la colère des Québécois vis-à-vis de la classe politique:

«Le monde est tellement en crisse contre nous autres...

- Nous autres... même contre le PQ?

- Les gens sont fâchés contre toute la classe politique. Les partis, les apparatchiks, les élus. Y a pas grand-chose de beau qui nous est accolé. Et pour quelqu'un qui a toujours cru que la politique, c'est beau, eh bien, c'est... bouleversant.»

Dans les discussions qu'il a eues avec les Québécois pendant l'été, il s'est fait dire: «Le PQ est devenu un vieux parti.» Lui ne le croit pas. L'esprit réformateur du PQ est «toujours là». Ça se voit, dit-il, dans les positions du parti sur la gestion des ressources naturelles et le financement public des partis politiques, par exemple.

«Mais les gens disent: «Vous vous êtes coupés de nous, vous n'avez plus cet esprit réformateur, vous n'êtes plus l'incarnation d'un sentiment populaire.» C'est dur d'entendre ça.»

D'où les propositions radicales de Drainville. Pour lui, c'est clair: si le PQ veut échapper à la désaffection populaire, il doit faire des gestes qui «bousculent le statu quo, qui envoient un message anti-establishment» sur la ligne de parti, sur les référendums d'initiative populaire, sur le pouvoir qu'a le peuple sur les élus entre les élections, par exemple.

«Il faut remettre en question le système actuel. Sinon, on va avoir de la difficulté à convaincre les gens que nous sommes le parti du monde ordinaire.»

Et la souveraineté?

«Même Robert Bourassa reconnaissait que le mouvement souverainiste était une police d'assurance, donnait un rapport de force avec le Canada anglais. Si les Québécois répètent au Québec ce qu'ils ont fait au fédéral avec le Bloc, nous allons nous retrouver affaiblis.»

Mais les Québécois, Drainville le voit bien, ne se passionnent pas pour l'indépendance. «Ils veulent, dit-il, qu'on s'attaque à autre chose.» À ce moment-là, la Nissan est passée à côté d'une station Shell où le prix du litre d'essence était affiché à 1,27$.

«Je pense quand même qu'on peut faire un contrat avec les Québécois. On va s'attaquer à la dette. On va s'attaquer à la santé, à l'éducation. On va remettre de l'honnêteté dans le système. Le pari, c'est que, si on fait le ménage, vous allez avoir le goût de refaire ces débats sur la souveraineté.»

Il faudra, bien sûr, pour que le contrat de Bernard Drainville ait une chance de voir le jour, que le PQ forme le prochain gouvernement.

Le défi, disons, est gros. Gros comme la lune qui nous a accueillis, au-dessus des derniers champs, avant qu'on ne voie les lumières de Québec au loin.