Voici ce que le premier ministre du Québec, Jean Charest, a dit, mercredi, en annonçant une «commission d'enquête»* sur la collusion dans le monde de la construction: «Nous avons demandé au sous-ministre de la Sécurité publique de consulter les dirigeants des principaux corps policiers. Le sous-ministre a ainsi consulté le commissaire de l'UPAC, les directeurs généraux de la Sûreté du Québec, du Service de police de Montréal et de la police de la Ville de Québec.»

Depuis mercredi, les ministres envoyés au front par le gouvernement libéral pour défendre la patente à gosse imaginée par leur patron n'ont de cesse de répéter que les policiers ont été «consultés» sur la meilleure façon de mener une commission d'enquête sans nuire aux enquêtes policières.

Courchesne, Moreau, Fournier, Dutil: ils répètent tout que la police a été «consultée». Une façon comme une autre d'instrumentaliser la police, d'envoyer le message subliminal suivant: la police est d'accord avec nous, les policiers nous appuient...

Sauf que le Service de police de la Ville de Montréal, le plus gros corps de police au Québec, celui qui se frotte sur une base quotidienne au crime organisé, celui qui fait face à la plus grande diversité de criminalité dans la province, a contredit, hier soir, le premier ministre du Québec.

Le SPVM a répondu par un paragraphe aux questions de notre journaliste Fabrice de Pierrebourg (voir en page A11): «Le Service de police de la Ville de Montréal (SPVM) confirme qu'il a été consulté par le sous-ministre au ministère de la Sécurité publique sur les préoccupations et sur les impacts potentiels de la protection de la preuve que pourrait avoir une commission d'enquête sur la construction, mais tient à préciser qu'il n'a jamais été consulté sur la forme que pourrait prendre une telle commission ou la décision d'en tenir une.»

Ça ne paraît pas, comme ça, mais ces 71 mots sont courageux. Ces 71 mots contredisent directement les prétentions de Jean Charest et de ses ministres quant à l'appui des policiers à la «commission d'enquête» annoncée par le premier ministre.

Car c'est clair comme de l'eau de roche. Le premier ministre du Québec, et certains de ses ministres les plus importants ont utilisé faussement la crédibilité de la police de Montréal pour faire «passer» l'idée de leur «commission d'enquête».

Parce qu'on peut consulter de mille et une façons. La définition du Petit Robert va de «consulter un ami» à «Se laisser guider par...». On peut consulter et faire la sourde oreille aux conseils sollicités. C'est ce que l'équipe de Jean Charest a fait dans le cas du SPVM.

M. Charest nous avait pourtant dit à nous, Québécois, que cette «commission d'enquête» était «taillée sur mesure», après consultation du sous-ministre à la Sécurité publique avec «des juristes et des policiers».

Dans les milieux juridiques, on le sait, des ténors se sont élevés pour décrier la patente dessinée par les libéraux. Le Barreau -dont Jean Charest est membre- l'a désavouée. Les juges de la Cour supérieure sont outrés (voir la chronique d'Yves Boisvert, publiée hier). Bernard Roy, procureur du gouvernement canadien pendant la commission Gomery, a brillamment déculotté les prétentions de Charest et cie en affirmant qu'on peut très bien mener des enquêtes de police et une commission d'enquête publique.

Mais dans son discours, mercredi, Jean Charest n'a pas nommé ces experts juridiques consultés par le sous-ministre à la Justice. Il a en revanche nommément évoqué la police de Montréal.

Or, le SPVM, hier soir, avec ce communiqué de presse, a décidé de ne pas être utilisé par le gouvernement Charest en affirmant ne pas avoir été consulté sur la forme que prendrait cette «commission d'enquête».

La rebuffade est subtile, mais limpide. Si le SPVM est d'accord avec cette chose qu'on veut faire passer pour une commission d'enquête, il s'est bien gardé de le dire, dans sa courte réponse à de Pierrebourg. Idem pour le service de police de Québec.

Dans le cas du SPVM, appelez ça un éditorial par omission. Ça répond parfaitement aux nombreuses tromperies par omission de Jean Charest et de ses ministres dans la défense - sans-gêne - de cette «commission d'enquête», depuis mercredi.

On dira que les boss de l'Unité permanente anticorruption et de la Sûreté du Québec sont d'accord, eux, avec ce cheval que le gouvernement tente de faire passer pour un éléphant. Puis-je rappeler, simplement, que les chefs de l'UPAC et de la SQ sont nommés par ce même gouvernement?

La vérité, c'est qu'on peut mener une commission d'enquête publique et des enquêtes policières, en parallèle. Ça se fait. Ça s'est déjà fait. La vérité, c'est que la bibitte inventée par Jean Charest, et décriée par des voix nombreuses et crédibles depuis mercredi, n'a qu'un seul but: éviter au final d'éclabousser le Parti libéral du Québec et ses amis.

* Puisque ce n'est pas une commission d'enquête au sens généralement entendu, pas question que j'y fasse référence autrement qu'entre guillemets.

NOTE: La version originale de cette chronique évoquait le désaveu des doyens des facultés de droit des universités McGill et de Montréal. Bien des experts ont désavoué l'idée originale de «commission d'enquête» proposée par Jean Charest, mais MM. Daniel Jutras (McGill) et Gilles Trudeau (U. de Montréal) n'en étaient pas. Je leur présente mes excuses. - PL