C'est arrivé à Ottawa, il n'y a pas très longtemps: Jamie Hubley, 15 ans, s'est suicidé après avoir été harcelé, intimidé, traqué sans relâche par ses camarades d'école. Jamie était gai. Il ne s'en cachait pas. Son suicide a bouleversé bien des gens au Canada anglais.

Rick Mercer est l'un de ceux-là. Animateur du Rick Mercer Report, à CBC, une émission qui taille son humour dans le matériau de l'actualité, il a fait une montée de lait pour souligner la mort de Jamie.

Mercer présente ses tirades, hilarantes, en fixant la caméra dans un long plan-séquence. Mais mardi dernier, pour son rant de la semaine, aucune blague. Que de la dénonciation de l'homophobie chez les jeunes.

Mercer, lui-même gai, avait deux messages, dans sa tirade devenue un succès viral (plus de 200 000 visionnements sur YouTube).

Un, c'est très bien, la sensibilisation; c'est très bien, les psychologues qui vont aller voir les jeunes de l'école de Jamie. Mais les flics? Où sont les flics pour enquêter sur ces jeunes qui ont harcelé Jamie?

Deux, quiconque est une personnalité publique, en ce pays, aujourd'hui, et qui se cache encore dans le placard, a la responsabilité d'en sortir. Maintenant. Pour servir de modèle aux jeunes gais.

Un comédien homosexuel, une politicienne lesbienne, ont-ils la responsabilité de s'afficher comme gais? De ne pas entretenir l'ambiguïté? Question complexe et fascinante.

Dany Turcotte, l'humoriste qui épaule Guy A. Lepage à Tout le monde en parle, est sorti du placard. Il ne l'a jamais regretté, il collectionne les accolades et les témoignages de sympathie depuis, partout au Québec. Il est d'accord avec le point de vue de Rick Mercer. Avec nuances.

«On ne peut pas forcer personne à sortir du placard. On ne peut pas dire, non plus, vous êtes irresponsables si vous ne le dites pas ouvertement. Tout le monde est un être humain qui chemine, poqué par son passé, par ses enjeux familiaux.»

Dany Turcotte trouve cependant qu'il y a déficit de personnalités affichant leur homosexualité, au Québec. «Il y a moi, Daniel Pinard, Alex Perron, Éric Bernier, quelques autres, comme Michel Tremblay. Quelques mascottes. Quelques Youppi!»

Selon lui, la question des «modèles» transcende les gens connus. Des flics aux profs, Turcotte croit que plus il y aura d'homosexuels affichés, hommes et femmes, dans l'environnement des jeunes, moins l'intimidation comme celle dont a été victime Jamie Hubley pourra perdurer.

Mais le cas des «vedettes» qui restent dans le placard pose un problème particulier. Le secret entourant l'orientation sexuelle d'une personne connue est souvent un secret de Polichinelle.

Beaucoup, beaucoup de gens savent que tel politicien est homosexuel, que telle comédienne est lesbienne. Or, devant cela, j'ai cette théorie: le message subliminal, quand X reste dans le placard, c'est qu'être gai, c'est quelque chose qu'il faut cacher. Quelque chose de honteux.

Rien ne force X à se «dévoiler». Mais ces personnalités publiques qui restent dans le placard, en 2011, sont des alliés involontaires de ceux qui perpétuent la chasse, subtile ou pas, aux «fifs» et aux «butchs».

«Exactement!», tonne Judith Lussier, quand je lui expose ma théorie.

Judith est une journaliste pigiste aux lunettes très tendance et aux sujets souvent originaux. Pour le magazine Urbania, elle planche sur un numéro spécial «Lesbiennes». Elle l'est elle-même.

Et récemment, Judith a décidé de cibler une Québécoise connue à la grandeur du Québec, lesbienne, mais qui refuse de le dire. Pas question de la sortir de force du placard. Mais Judith lui fait des appels du pied. Pas en tant que journaliste. En tant que jeune lesbienne.

«Je lui ai envoyé deux courriels dans lesquels je tente de la convaincre de le dire. Pourquoi? Parce qu'elle a le pouvoir de changer des choses, des vies, des perceptions à propos de nous. On n'a tellement pas de modèles!»

En effet. Peu de lesbiennes s'affichent, au Québec. Clémence Desrochers l'est, mais n'en parle pas. Monique Giroux. Agnès Maltais. Il y a encore moins de Youppi chez les femmes que chez les hommes gais...

«Cette femme que je cible, je trouve qu'elle manque de solidarité, dit Judith. C'est comme si, en 1920, elle avait déclaré que le vote des femmes, ce n'est pas si important...»

La question du harcèlement dont sont victimes les jeunes gais est plus complexe que le simple coming out de gens qu'on voit à la tivi, évidemment. Les moeurs évoluent, lentement mais sûrement, l'époque s'adoucit et, un jour, achaler une tapette sera aussi impensable que de faire des blagues de nègres, de nos jours...

Dany Turcotte -qui confie que même dans le privé, avec des gais connus qui ont choisi de se cacher, le sujet est tabou- a un rêve, une idée. Celui d'un coming out massif: «Je rêve de faire une conférence de presse où 25, 30 personnes connues feraient leur coming out. En groupe, peut-être que c'est plus facile. Sortir du placard, c'est juste positif.»