Quand une sénatrice conservatrice a fait la suggestion de remplacer le placide castor comme emblème national du Canada par l'agressif ours polaire, plusieurs ont souligné l'ironie de la chose. Les conservateurs, bien sûr, nient ce phénomène qui menace la survie de l'ours polaire: le réchauffement climatique causé par l'Homme.

J'y ai vu autre chose. Une autre étape de la reconfiguration du Canada par le gouvernement conservateur. Une reconfiguration qui touche ses politiques, ses prises de position et ses symboles.

Sur la scène internationale, le Canada ne veut plus être le Casque bleu de service. Il veut, lui aussi, mitrailler et bombarder, avec des chasseurs F-35 hors de prix. Croquer du dictateur libyen, faire peur aux Russes-qui-veulent-voler-nos-ressources-en-banlieue-du-pôle-Nord. Le Canada est aussi l'ami d'Israël dans toutes les circonstances, même quand l'État hébreu mériterait une bonne rebuffade.

Au pays, le Canada de Stephen Harper n'est pas un territoire sans histoire où les gens vivent dans une relative harmonie, portrait appuyé par les statistiques sur la criminalité. Non, dans le Canada des conservateurs, le crime est partout; les criminels règnent sans partage dans nos cités et campagnes. C'est pourquoi il faut plus de flics. Plus de prisons. Moins de pouvoir discrétionnaire dévolu aux juges au moment des sentences.

Mais il y a aussi d'autres signes, qui peuvent sembler insignifiants.

Je pense, notamment, à ce projet de loi privé d'un député conservateur, qui vise à sacraliser le drapeau canadien. Ce projet de loi, appuyé par le gouvernement, punirait quiconque tenterait d'empêcher un vrai patriote canadien de faire flotter le drapeau unifolié.

Je pense aussi à la présence de militaires canadiens, dans le décor, lors de cérémonies de prestation de serment de nouveaux citoyens.

Je pense aussi aux guerres passées du Canada, en tant qu'État indépendant ou en tant que dominion britannique, qui sont au centre du nouveau Guide d'étude de Citoyenneté et Immigration Canada (CIC) à l'intention des immigrants.

Sacraliser le drapeau du pays, vénérer l'armée, faire une fixation sur la loi et l'ordre: bienvenue aux United States of Canada.

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Toutes ces mesures, grandes et petites, évidentes ou pas, ne sont pas le fruit du hasard, selon Ian McKay, professeur d'histoire à l'Université Queens de Kingston, en Ontario.

«Ce que les conservateurs sont en train de faire, c'est changer la " marque " du pays, c'est une contre-révolution, carrément. Ils tentent de persuader les gens d'adhérer à une société plus militariste, plus agressive», dit celui qui publiera en 2012 un livre sur ce virage, Warrior Nation, Rebranding Canada in a Fearful Age*.

Un autre exemple qui titille l'historien: les commémorations de la guerre de 1812, contre les États-Unis. Une guerre obscure, sans réelle portée historique. Mais Ottawa va quand même consacrer 30 millionsau bicentenaire de la guerre entre la jeune république des États-Unis et l'Empire britannique, qui a connu un front canadien.

«Pour cette droite incarnée par les conservateurs, célébrer la guerre de 1812, c'est glorifier la guerre, l'institution militaire, la grande aventure de l'armée. Une autre façon de rappeler que le Canada est une nation guerrière.»

Ian McKay voit un lien très clair entre la célébration des 200 ans de la guerre de 1812 et la sacralisation du drapeau canadien proposée par le projet de loi privé d'un député conservateur. «Ça brasse les émotions patriotiques mais on crée des enjeux là où, avant que l'État entre dans le jeu, il n'y en avait pas. C'est de la propagande.»

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Et ce bizarre fétichisme pour la monarchie britannique? N'est-il pas paradoxal, pour le gouvernement Harper, qui vénère la version «Republican Party» de la démocratie?

Pas du tout, croit Ian McKay: la monarchie, c'est le symbole d'un État autoritaire, d'un passé où les pays de l'«Anglosphere», le monde anglo-saxon, - comme le Canada, la Grande-Bretagne, l'Australie, entre autres - avaient la «responsabilité» d'apporter la civilisation aux contrées sauvages. White Man's Burden, comme on disait...

Quant à la fixation des conservateurs sur une vague de criminalité qui n'existe pas, sur le besoin de construire des prisons et d'être plus «durs» face aux criminels, ça participe d'une vision guerrière de la société. «Le citoyen, note le professeur McKay, est alors enrôlé dans une guerre plus large, contre le crime en général. L'idée, c'est d'être en guerre perpétuelle.»

C'est pourquoi, pour évoluer dans cette société où chacun se bat dans des guerres, même imaginaires, il vaut mieux être un ours polaire qu'un castor...

*Traduction libre: Nation guerrière: changer la marque canadienne dans une ère de peur (coauteur: Jamie Swift)