Des boss de la Caisse de dépôt et placement du Québec qui ne parlent pas français? C'est exactement comme un capitaine du Canadien de Montréal qui ne parle pas français: ça en dit plus long sur l'époque que sur ces individus.

Pensez-vous qu'en 1976, le capitaine du Canadien de Montréal aurait pu être un anglophone unilingue?

Jamais.

L'époque était à la revendication. Le PQ venait d'être élu. La Charte de la langue française allait être bientôt adoptée. On ne badinait pas avec le français. Pour un million de raisons.

Ça explique peut-être pourquoi des anglos du ch, et pas les moindres, dans cette glorieuse dynastie des années 70, pouvaient communiquer avec la majorité des habitants du Québec, dans leur langue, le français.

Ça explique pourquoi, en 1981, Bob Gainey a été nommé capitaine. Bien sûr, le gaillard de Peterborough, en Ontario, était un guerrier sur lames. Mais il parlait aussi français. Un capitaine unilingue anglais, à l'époque? Trois ans après l'adoption de la loi 101, un an après le référendum? Impensable!

C'était l'époque qui dictait cela. Je parle d'une autre époque, une époque révolue.

Une époque où les Québécois avaient encore des souvenirs viscéraux des «Grosses Anglaises de chez Eaton», qui leur ordonnaient «Speak White» ! De Donald Gordon, boss du CN qui expliqua ainsi, en 1962, pourquoi chacun des 17 vice-présidents de cette société de la Couronne était anglo unilingue: parce que nous n'avons pas trouvé de francophones assez compétents...

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Les années 80 sont arrivées, mais la ferveur linguistique n'a pas disparu. Nous avons pris la rue quand la Cour suprême a commencé à tripoter la loi 101, en 1988.

Aujourd'hui, l'époque a changé. L'anglais, dans la tête des Québécois, n'est plus uniquement vu comme la langue du boss supérieur et dominant. L'anglais est autre chose. La langue de la culture mondiale, des affaires, du web. Signe, un peu, que nos complexes disparaissent. On peut envoyer promener le dominateur d'hier dans sa langue, tiens...

L'époque a changé. Aujourd'hui, on peut être capitaine du Canadien de Montréal, jadis équipe-nation, sans parler un traître mot de français.

Le pire, c'est que si vous déplorez la situation, ils seront des milliers de Québécois francophones à vous dire que ce n'est pas grave, que ce qui compte - que tout ce qui compte -, c'est que le club gagne, que le capitaine soit un bon meneur.

Oui, l'époque a changé. Aujourd'hui, comme l'ont révélé hier André Dubuc et Francis Vailles de La Presse, des patrons de ce qui est historiquement le plus important levier économique des Québécois, la Caisse de dépôt, peuvent y travailler in English.

Les années 90 ont apporté cette curieuse évolution, chez le Canadien et à la Caisse.

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On peut pourfendre ces boss anglos, Kim McInnes et David Smith, incapables de parler français. On peut déplorer la mollesse des libéraux de Jean Charest dans la défense du visage français du Québec. On peut. Ça fait partie du problème.

Notons que l'unilinguisme de patrons de la Caisse nous arrive la semaine où on apprend que l'Office québécois de la langue française va payer 500 000 $ pour une campagne publicitaire visant à convaincre les entreprises qui contreviennent à la loi 101 de s'y conformer.

Vous avez bien lu: convaincre, pas contraindre...

Mais le fond du problème, c'est que l'époque a changé. Fut une époque où l'embauche de cadres unilingues anglais au sein d'un instrument d'émancipation du Québec français aurait été vécue comme un affront inqualifiable. Où le viol de la loi 101 aurait entraîné des coups de sang.

Nous ne vivons plus dans cette époque.