Jeudi, quelqu'un a payé 1500$ pour le privilège de passer quelques heures à suivre un journaliste sur le terrain et de souper avec lui, une fois cette journée terminée. Ces 1500$ seront versés à La grande guignolée des médias, qui s'est tenue le 1er décembre. Ce journaliste, c'est moi.

À ce prix-là, j'arrive avec un chou - doré - sur la tête...

Comme plusieurs autres médias, La Presse a participé à la guignolée, en faisant tirer des lots aux enchères. Un souper avec Sophie Cousineau et Geoffrey Molson: 3300$. Une soirée dans la loge du journal au Centre Bell pour un match du CH avec trois journalistes et le boss, Éric Trottier: 3602$.

Total des lots soumis aux enchères par La Presse: 34 000$.

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Il fut une époque où je haïssais La grande guignolée des médias. Je haïssais le spectacle de la guignolée, je haïssais la vue d'une Miss Météo aux dents blanchies courir aux côtés d'une voiture, dans les bouchons matinaux, avec sa ca-canne, pour amasser quelques sous pour les pauvres...

Stéphane Baillargeon, qui couvre les médias au Devoir, a écrit sur la guignolée cette semaine une chronique que j'aurais pu écrire, il y a 10 ans: «Les Guignols de l'info», a-t-il joliment titré...

Baillargeon, donc, a pourfendu avec sa verve habituelle le «business autopromotionnel de la compassion», par des médias qui se servent de La grande guignolée pour faire «mousser leur propre renommée»...

Le chroniqueur du Devoir n'est pas le seul, dans la grande famille journalistique, à lancer des bémols gros comme des boules de Noël dans l'engrenage de La grande guignolée. Marie-France Bazzo, sur Twitter, a lancé cette vanne, la veille du 1er décembre: «Guignolée: mise en scène éclaboussante des médias bien-pensants ne se pouvant plus de faire le Bien, sous le regard muet des pauvres.» Taïeb Moalla, du Journal de Québec, s'est dit dubitatif, mal à l'aise avec la «confusion des genres» de médias qui s'engagent ainsi: «Est-ce notre job?», a-t-il demandé, comme Baillargeon.

La réponse simple et frette: bien sûr que non. C'est pas notre job. Notre job, c'est d'informer.

Mais Jacques Martin, qui commente la performance d'un joueur à l'entraînement, un 4 février, est-ce notre job?

Couvrir en direct un Stephen Harper en campagne électorale dans un Tim Hortons, en sachant qu'il ne répondra à aucune putain de question des médias, est-ce notre job?

Donner des conseils pour être un meilleur client à l'hôtel - entendu à la radio publique, récemment -, est-ce notre job?

Une chronique où je pleure la fermeture de mon restaurant préféré, est-ce la job de La Presse de la publier?

Je sais pas. Des fois, j'ai des doutes.

Ce que je sais, c'est que dans le grand buffet des entorses à la salubrité médiatico-journalistique, il y a des egg rolls plus nauséabonds que La grande guignolée. Je ne veux pas tomber dans les bons sentiments faciles, mais l'événement a quand même amassé 2,75 millions l'an dernier.

Ces dollars, comme chaque sou versé à chaque organisme de charité pour Noël, ne sont pas un antidote à la pauvreté. La pauvreté, c'est une affaire de justice sociale. La justice sociale, c'est l'État. C'est nous.

Là où Baillargeon a raison, c'est quand il remarque que les médias ne traitent pas suffisamment de pauvreté. C'est vrai. C'est compliqué, la pauvreté.

Au-delà de l'image de l'écolier qui ne mange pas à sa faim et du clochard qui quête, c'est compliqué à décortiquer, à analyser, à expliquer. Je dirais même que c'est compliqué à défendre, en tant que «cause»: la haine du pauvre, en cette époque, est assourdissante...

Partout, les banques alimentaires le signalent: elles ont de plus en plus de clients. Et ce que les anges du communautaire vous diront, c'est que le pauvre ordinaire, il travaille. Il travaille, mais il vient quand même chercher de la bouffe.

Est-ce normal qu'une personne travaillant à temps plein ne puisse pas, avec ce job, subvenir à ses besoins? Est-ce normal qu'un père et une mère qui ont tous deux des jobs ne puissent subvenir aux besoins de leur famille?

Non. C'est pas normal. Et c'est pas juste.

Et nous, les journalistes, n'en parlons pas. En cela, nous ne sommes pas mieux que la classe politique. Peut-être parce que la pauvreté ne fait pas partie de notre réalité. Quand t'es journaliste dans un grand média national, t'as plus de chances d'être emmerdé par les nids-de-poule qui scrappent ta Jetta neuve et par la liste d'attente interminable du CPE du coin que par l'obligation de manger du Kraft Diner les 23, 24, 25, 26, 27, 28, 29 et 30 du mois...

Pis, un jour, quand tu côtoies la pauvreté, c'est parce que tu viens d'acheter un triplex dans Hochelaga-Maisonneuve. Oups, HoMa. Là, tu les vois, les pauvres. Pas sûr que tu trippes, non plus...

J'exagère, bien sûr.

Mais à peine.

Pour joindre notre journaliste: plagace@lapresse.ca

Photo: Alain Dion, La Voix de l'Est

Dans le grand buffet des entorses à la salubrité médiatico-journalistique, il y a des egg rolls plus nauséabonds que La grande guignolée. L'événement a quand même ammassé 2,75 millions l'an dernier.