Appelez-moi le Jojo Savard de l'information, O.K.? Comme la blonde et autrefois célèbre astrologue, j'ai prédit l'avenir.

La différence?

Moi, j'ai raison.

Le 12 septembre, donc, j'ai publié dans ce journal une chronique intitulée Lettre à Nathalie Normandeau, après la démission de la vice-première ministre et ministre des Ressources naturelles.

J'évoquais ces anciens ministres qui avaient abouti dans l'entreprise privée, dans des domaines relevant de ministères qu'ils avaient pilotés. Je nommais Philippe Couillard, passé de ministre de la Santé à patron d'une firme qui veut faire de la santé un business. Je pensais à Guy Chevrette, qui a représenté le lobby des forestières après avoir été ministre responsable des forêts.

Extrait: «Mme Normandeau, je vous souhaite une vie professionnelle heureuse, après la politique. Je nous souhaite que vous n'aboutissiez pas sur le payroll d'une industrie d'un domaine dont vous avez été, ces dernières années, ministre.»

Qu'a-t-on appris, le 12 janvier dernier, dans un topo d'Alain Laforest, de TVA? Que Nathalie Normandeau avait un nouvel emploi: vice-présidente aux Affaires stratégiques de Raymond Chabot Grant Thornton (RCGT), qui est bien plus qu'une simple firme de comptabilité. C'est une firme-conseil pour entreprises.

Ma foi, je lis dans les entrailles de l'actualité!

Selon Laforest, donc, une des responsabilités de Mme Normandeau chez RCGT sera de conseiller les clients de la firme sur les façons de profiter du Plan Nord.

Le reportage est sorti jeudi soir. RCGT a choisi de ne pas commenter les informations de TVA. Mme Normandeau aussi.

Ce n'est que le lendemain après-midi que les principaux intéressés ont réagi, jurant leurs grands dieux que, pas du tout, l'ancienne ministre ne conseillera pas des clients privés sur les meilleures façons de tirer profit du Plan Nord, dont Mme Normandeau était responsable jusqu'à tout récemment...

Mme Normandeau nie. La firme RCGT aussi. Je note que le démenti est sorti le lendemain du reportage de TVA. Personnellement, à leur place, j'aurais choisi de démentir sur le coup, quand le journaliste a téléphoné. Pas le lendemain, question de ne pas laisser courir pendant des heures une «fausse» nouvelle...

Laforest est un bon reporter parlementaire, crédible. Il n'a pas l'habitude de lancer des sottises en ondes. Je le crois quand il dit qu'il a appris qu'une des responsabilités de Nathalie Normandeau chez RCGT sera d'aider les clients de la firme à tirer profit du Plan Nord, dont elle avait la responsabilité au plus haut niveau de l'État, jusqu'à tout récemment.

RCGT a beau dire - une journée plus tard - que c'est faux, Mme Normandeau a beau dire qu'elle va s'imposer des garde-fous, reste que j'ai une toute petite question...

Comment puis-je vérifier ça, moi?

Quand des lobbyistes rencontrent du personnel politique ou un ministre, il y a des traces. C'est consigné, c'est public. Parce que l'État s'est donné des règles assurant un minimum de transparence sur les interactions des intérêts particuliers et des officiels publics.

Si Nathalie Normandeau rencontre les patrons d'une société minière (par exemple) ayant recours aux services de RCGT, comment puis-je le savoir? RCGT est une entreprise privée. La minière aussi. Leurs interactions ne sont pas soumises à des mécanismes de transparence.

Il faut donc se fier à la parole de RCGT et à celle de Mme Normandeau.

Mais allons au-delà du cas de Mme Normandeau, qui se vantait dans le communiqué de presse de RCGT de ses «connaissances de l'appareil gouvernemental».

Parlons des «ex» qui monnaient l'expertise qu'ils ont acquise à défendre - supposément - le bien public auprès de clients privés.

Pourquoi le privé? Pourquoi des grosses jobs comme patron du lobby des forestières ou patron d'une firme de santé privée? Pourquoi toujours des créatures qui ont un intérêt à connaître l'ADN de l'État?

Pourquoi pas la Croix-Rouge?

Pourquoi pas Moisson Montréal?

Pourquoi pas directeur régional des Tim Hortons du Grand Valleyfield?

J'ose cette explication: parce que c'est moins payant...

Alors, Nathalie Normandeau peut bien nous bassiner avec son «droit de gagner sa vie», on devient las de ces politiciens qui, une fois qu'ils ont servi le bien commun, décident d'en extraire la substantifique moelle pour la tarifer à l'heure, au profit du privé...

Éric Caire, député caquiste, a porté plainte au Commissaire à l'éthique pour qu'il se penche sur le nouvel emploi de Nathalie Normandeau. Comme dit François Legault: on verra...

Peut-être que Mme Norman-

deau n'enfreint aucune règle éthique en acceptant d'aller distiller chez RCGT tout le savoir qu'elle a acquis alors qu'elle était au service de l'État.

Mais pour quelqu'un qui nous a fait la morale sur cette calamité qu'est le désenchantement de la population vis-à-vis des politiciens, disons que Mme Normandeau a fait un choix de carrière malodorant comme une flatulence de Holstein.

Un sujet sur lequel l'ancienne ministre en sait un petit bout. On ne sait jamais, ça pourrait profiter aux clients de RCGT...