Ainsi donc, Ed Broadbent, ancien chef du NPD de 1975 à 1989, décrit comme la «conscience» du parti de gauche, s'est déguisé en Bernard Landry pour jouer à la belle-mère: il s'est lancé dans une cabale de dernière minute pour convaincre les militants de ne pas choisir Thomas Mulcair comme chef.

Course au NPD: qui sont les principaux joueurs?

M. Mulcair, dit-on, serait en avance dans la Grande Marche - j'aimerais parler de «course», mais ce serait inexact! - au leadership du NPD, qui choisira son prochain chef le 24 mars.

La perspective d'une victoire du député d'Outremont fait paniquer les élites du NPD, qui préféreraient voir Brian Topp diriger les orphelins de Jack Layton. M. Topp est un apparatchik du NPD qui n'a jamais eu les cojones de se présenter devant l'électorat.

Dans son entrevue au collègue Daniel Leblanc, du Globe and Mail, Ed Broadbent a mitraillé M. Mulcair, qui souhaite «moderniser» le NPD en le déplaçant un peu vers le centre, question d'attirer des électeurs. Il a aussi remis en question la capacité de M. Mulcair à rassembler les troupes.

Bref, l'ancien leader du NPD a servi de porte-voix à toutes les saloperies qui circulaient anonymement au sujet de l'ancien ministre libéral, ces derniers temps.

En lisant les déclarations de M. Broadbent, je souriais. Ed Broadbent, c'est l'incarnation d'une de mes convictions politiques les plus profondes: la gauche ne veut pas gagner, elle veut avoir raison.

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Ed Broadbent était un politicien tout à fait respectable. Il a le coeur à gauche et en ce sens, je suis plus près de lui que de Stephen Harper. Ses 14 ans de politique ont laissé un souvenir chaleureux: c'est un homme sympathique.

Mais Ed Broadbent est un perdant.

En quatre élections générales, Ed Broadbent a été d'une constance magnifique: toujours chef du parti qui arrivait bon troisième, loin, très loin derrière les libéraux et les conservateurs.

Ça en dit long sur le boy-

scoutisme de la gauche canadienne quand son héros, sa conscience, est un homme qui n'a que des revers à son actif.

Et c'est ce gars-là qui donne des conseils au NPD de 2012?

Wow.

Si des militants néo-démocrates s'avisent de l'écouter, j'aimerais leur signaler que Blockbuster cherche peut-être des acheteurs pour ses clubs vidéo...

M. Broadbent croit que ce serait une «erreur» de déplacer le NPD vers le centre, comme le suggère M. Mulcair, en évoquant l'ancien premier ministre britannique Tony Blair, qui a fait triompher son New Labour justement en le déplaçant vers le centre politique.

M. Broadbent a droit à son opinion. Mais c'est l'opinion d'un homme qui n'a jamais même flirté avec le pouvoir. En fait, le NPD de Broadbent n'a jamais même effleuré, en 1979, 1980, 1984 et 1988, l'opposition officielle! Critiquer la recette de Tony Blair - élu trois fois premier ministre du Royaume-Uni -, c'est tellement prétentieux que c'en est comique.

Si je comprends bien Ed Broadbent, il vaut mieux se cramponner à des positions incapables de rallier une majorité d'électeurs que de modifier ces positions pour avoir une chance de gagner.

C'est ce que je veux dire: la gauche ne veut pas gagner, elle veut avoir raison.

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Thomas Mulcair est un bagarreur. C'est un dur, il est capable de faire enrager ses adversaires comme ses équipiers. J'imagine que travailler avec lui n'est pas de tout repos.

Mais Mulcair sait gagner.

Il a l'expérience du pouvoir, comme ministre libéral, sous Charest. Et avant 2007, la circonscription fédérale d'Outremont était connue comme Outremont-château fort-libéral. Sa victoire-surprise dans une partielle, en 2007, confirmée deux fois aux élections générales, a été la tête de pont de la vague orange de l'an dernier. N'en déplaise à M. Broadbent, qui tombe dans l'ésotérisme quand il tente de donner à

M. Topp le mérite de cette grande séduction québécoise du 2 mai dernier...

Mais peut-être que M. Broadbent croit vraiment que la montée du NPD est uniquement attribuable à une stratégie finement planifiée par ses apparatchiks, et pas au coup de sang d'un électorat québécois parfois imprévisible...

Le plus drôle, c'est quand M. Broadbent défend la campagne laborieuse de Brian Topp. Oui, dit M. Broadbent, bien sûr, mais en privé, Topp est attachant, plein d'esprit, chaleureux!

Hum, on dirait un apparatchik libéral vantant les qualités privées de Michael Ignatieff, avant le 2 mai 2011. On sait ce qui est arrivé à celui-là.

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Si le NPD choisit Brian Topp, il aura sans doute «raison». Topp est l'homme du statu quo; contrairement à Tom Mulcair, il n'a jamais été libéral (ouache), sa pureté gauchiste est inattaquable et il ne flirtera sans doute jamais avec le centre (re-ouache).

Un centre politique qui, je le signale, se déplace de plus en plus vers la droite à mesure que Stephen Harper gouverne. Stephen Harper qui a, lui, gagné. Notre système étant ce qu'il est, depuis qu'il a gagné, il a raison...

Question pour Ed Broadbent et les militants du NPD qui vont voter: vous n'êtes pas tannés de perdre?