Ce fut une belle manifestation, une manifestation intelligente. Pas de casse, pas d'écart de conduite notables, pas d'arrestation. Ça donnait tout le temps pour admirer la qualité des jeux de mots dans les slogans qu'on pouvait lire sur les pancartes...

Je pense, donc je paie

Avec Beauchamp, l'amour est dans le prêt

La hausse, c'est vache, signé: Médecine vétérinaire

Mon slogan préféré, celui des étudiants en traduction: Acculer les étudiants au pied du mur, c'est un barbarisme. Tout le monde sait qu'il faut plutôt dire accumulé au pied du mur!

La dernière fois que Montréal avait vu une manif de cette ampleur, selon les mots d'Ian Lafrenière, porte-parole de la police de Montréal, c'était pour dénoncer l'invasion de l'Irak.

Étaient-ils 100 000? Étaient-ils 200 000? Je l'ignore. La «science» du comptage des foules est hasardeuse et en proie aux manipulations, pour des raisons évidentes. On en est réduit aux approximations. Mais au fond, ce débat-là est théorique. Disons ceci: ils étaient... beaucoup! Pardonnez le cliché: une marée humaine.

Après le départ de la manif, il y avait encore des manifestants, place du Canada, qui attendaient de pouvoir commencer à marcher. J'étais rue Sherbrooke quand ils ont commencé à arriver dans la rue Berri. Il était 14 h 45. À 15 h 30, le robinet de la rue Berri n'était pas près de se tarir quand j'ai quitté le viaduc.

Impressionnant.

Ce fut une belle manifestation. Les étudiants ont joué la game.

On leur avait reproché, depuis le début de leurs actions d'éclat, un manque de discipline? Ils ont été, hier, disciplinés. Pas comme un défilé de soldats nord-coréens, mais pas loin...

On leur avait aussi reproché de ne pas donner aux flics l'itinéraire de la manif? Ils l'ont donné aux flics, et la majorité des manifestants a respecté le tracé.

Des dizaines de milliers de personnes ont joué la game de la manifestation pacifique. Des dizaines de milliers de personnes ont parlé d'une seule voix, sans casser une seule vitrine. Et si des gens ont été «pris en otages» par la manifestation d'hier, ils devraient regarder autre chose que des téléromans: l'événement était connu d'avance.

Le gouvernement de Jean Charest peut-il, maintenant, abandonner sa position paternaliste et parler aux étudiants?

Rue Sherbrooke, j'ai croisé Gabriel Nadeau-Dubois, le porte-parole le plus médiatisé des étudiants. Il m'a confirmé ce que je soupçonnais: il n'y a même pas un canal officieux de discussion entre le gouvernement Charest et les étudiants. Pardonnez la comparaison, mais même les Iraniens et les Américains ont des «back channels» diplomatiques...

Pour Nadeau-Dubois, la fin de semestre qui s'en vient ne met pas de pression sur le mouvement étudiant. Elle en met sur Jean Charest et sur Line Beauchamp: annuler le semestre coûtera une fortune aux cégeps et aux universités. On se dirige vers cette annulation, qui coûtera des millions.

La pression est sur le gouvernement, malgré l'apparente résilience du premier ministre, qui a assuré hier qu'il ne reculera pas.

Il avait dit la même chose pour Orford, pour le Suroît, pour la commission d'enquête.

Les étudiants ont joué la game. Ils ont fait une manif intelligente, disciplinée et festive qui n'a accouché - au moment d'écrire ces lignes, en début de soirée, hier - d'aucune casse ou arrestation.

Je ne souhaite pas qu'il y ait de la casse la prochaine fois. Mais si le gouvernement s'entête dans son silence paternaliste, il devra au minimum partager la responsabilité des vitrines brisées. S'il s'entête à ne pas discuter, au cours prochains jours, il enverra ce message: être gentil, être ludique, ça ne donne rien.