Ce devait être un jour de fête en Arizona. Ce soir, plus de 70 000 spectateurs s'entasseront dans un stade de la banlieue de Phoenix pour assister au match de championnat du football universitaire américain. Dans le calendrier sportif des États-Unis, il s'agit d'un événement majeur qui retiendra l'attention de millions de téléspectateurs.

Au moment du botté d'envoi, les citoyens de l'Arizona, pourtant si fiers d'être les hôtes de cette rencontre prestigieuse, seront toujours sous le choc de la tuerie survenue samedi à Tucson, l'autre grande ville de leur État. La tentative d'assassinat de Gabrielle Giffords, représentante démocrate au Congrès américain, a provoqué la mort de six autres innocentes victimes.

Face à l'immensité de la tragédie, beaucoup d'Américains trouveront du réconfort en surveillant les Tigers de l'Université d'Auburn, en Alabama, disputer la victoire aux Ducks de l'Université de l'Oregon. Un affrontement entre ces deux superbes équipes, invaincues au cours de la saison régulière, constitue une pause apaisante dans un monde si turbulent, où les armes à feu prolifèrent et le discours politique se radicalise.

Au centre de l'intérêt des amateurs, on trouvera le quart-arrière d'Auburn: Cam Newton, colosse de 6'6 et 250 livres, rapide, dur et agile. En partie malgré lui, le jeune homme de 21 ans n'incarne pas seulement la puissance athlétique. Il symbolise aussi l'hypocrisie du football universitaire américain.

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L'histoire commence le 21 novembre 2008, dans une résidence étudiante du campus de l'Université de la Floride. Sous la foi d'informations privilégiées, les policiers cognent à la porte de Cam Newton afin de récupérer un ordinateur volé. Paniqué, le jeune homme de 19 ans réclame le droit d'appeler un avocat. Pendant que les policiers attendent à la porte de sa chambre, Newton s'empare de l'ordinateur et le lance par la fenêtre du troisième étage.

Quelques jours plus tôt, Newton avait acheté cet ordinateur à prix d'aubaine d'un homme écoulant des produits électroniques stockés dans le coffre de sa voiture. Au magazine Sports Illustrated, qui a raconté ces faits l'automne dernier, Newton a déclaré: «C'était trop beau pour être vrai. J'ai commis un geste stupide.»

Les accusations portées contre Newton ont plus tard été abandonnées. Il a quitté l'Université de la Floride, où des soupçons de tricherie académique pesaient aussi contre lui. En 2009, il a refait sa réputation dans un collège de deuxième division. Son transfert à Auburn a ensuite été annoncé.

Dès le premier match de la saison en septembre dernier, Newton a annoncé ses couleurs: il a lancé trois passes de touché, en plus d'en marquer deux autres par la course. Une légende du football universitaire était née et la NFL venait de trouver un de ses meilleurs espoirs. Au cours des semaines suivantes, Newton a personnifié une magnifique histoire de rédemption, comme les Américains en raffolent. Le jeune joueur réparait ses erreurs de jeunesse en multipliant les exploits sur le terrain.

En novembre, le conte de fées a été brutalement interrompu. La saison de Cam Newton est venue près de prendre fin en raison des agissements de son père. Des médias américains ont révélé que Cecil Newton, pasteur de son métier, a voulu monnayer le talent de son rejeton avant qu'il ne s'engage avec l'Université Auburn. S'adressant à des entremetteurs, il a exigé de l'Université Mississippi State une somme minimale de 100 000$, payable sous le manteau, en retour de ses services. «Ça prendra plus qu'une bourse d'études pour obtenir Cam», aurait-il affirmé, selon le réseau ESPN. Mississippi State a rejeté ces avances.

Les joueurs universitaires étant des amateurs, tout paiement à leur endroit contrevient aux règlements de la NCAA, organisme régissant le sport collégial américain.

Après enquête, la NCAA a estimé que Cam Newton ne connaissait pas les plans du paternel. Le jeune quart-arrière n'a pas été sanctionné. De son côté, l'Université d'Auburn a assuré n'avoir jamais versé d'argent à la famille Newton. La divulgation de ces faits a néanmoins laissé un goût amer. Lorsque Newton a reçu le trophée Heisman remis au meilleur joueur universitaire de l'année le 11 décembre dernier, son père n'a pas assisté à la cérémonie, au grand soulagement des organisateurs.

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Le cas Newton illustre la mauvaise foi enrobant le football universitaire américain, une méga-entreprise qui génère des revenus hallucinants, notamment grâce aux droits de télévision. Les meilleurs joueurs voient tout cet argent leur passer sous le nez sans qu'ils ne puissent en toucher une part. Pas surprenant que certains d'entre eux, ou des membres de leur famille, veulent déjouer le système.

L'automne dernier, Reggie Bush, demi offensif des Saints de La Nouvelle-Orléans et vainqueur du Heisman en 2005, a remis son trophée au terme d'un feuilleton ayant démontré que sa famille et lui avaient reçu des avantages financiers considérables de la part de deux agents, alors qu'il évoluait toujours à l'Université Southern California. Aujourd'hui, les plus cyniques se demandent si le même sort ne guette pas Cam Newton.

Les bourses d'études constituent la seule rétribution versée aux joueurs. Mais plusieurs d'entre eux font l'impasse sur une véritable scolarité durant leur séjour dans les équipes de football. Les exigences des entraîneurs vedettes, eux-mêmes détenteurs de plantureux contrats, ne vont pas de pair avec l'assiduité en classe. Une recension du USA Today démontre que les deux protagonistes de ce soir, Gene Chizik, d'Auburn, et Chip Kelly, d'Oregon, touchent chacun plus de 3 millions annuellement.

Un pactole beaucoup plus important attend Cam Newton s'il se distingue durant cette finale et choisit de faire le saut dans la NFL la saison prochaine. L'obtention d'un diplôme n'est certes pas au coeur de ses priorités. Peu importe son passé controversé, parions qu'il nous en mettra plein la vue.

The show must go on...

Photo: Reuters

Le jeune quart-arrière de l'Université d'Auburn, Cam Newton, n'incarne pas seulement la puissance athlétique. Il symbolise aussi l'hypocrisie du football universitaire américain.