Samedi, Saku Koivu patinera sur la glace du Centre Bell pour la première fois depuis son départ du Canadien à l'issue de la saison 2008-09. Ces retrouvailles s'annoncent émotives: même si son héritage au plan hockey n'atteint pas celui des légendes du Canadien, son courage face à la maladie a profondément marqué l'histoire de l'équipe.

Ce matin-là, le téléphone de David Mulder sonna au lever du soleil. Saku Koivu, de retour à Montréal après un été en Finlande, se sent mal. Il vomit et éprouve des douleurs intenses à l'abdomen. «Je souffre peut-être d'un empoisonnement alimentaire, dit-il au médecin du Canadien. J'ai mangé des huîtres hier...»

Ainsi commence l'histoire, le mardi 4 septembre 2001. Une histoire qui sèmera une frayeur indescriptible dans le coeur de Koivu, de sa famille et de ses milliers de partisans. Près de 10 ans plus tard, assis dans le même bureau où il reçut Koivu ce jour-là, le Dr Mulder n'a rien oublié de ces événements extraordinaires, qui nous rappellent à la fois la fragilité de la vie et la fortitude de l'être humain.

«Au début, j'ai pensé que Saku souffrait d'une appendicite, raconte le Dr Mulder. Pendant qu'il subissait les tests de routine, j'ai contacté un chirurgien généraliste afin de procéder à l'opération. Hélas, j'ai ensuite reçu l'appel du radiologiste qui complétait l'analyse des premiers examens. Du liquide et de petits nodules semblant être des tumeurs étaient logés dans sa cavité abdominale. Nous avons alors tous compris que son état était très grave.»

La tension monte

Pendant que la vie de Koivu bascule en ce matin de fin d'été, la grande famille du Canadien amorce une journée de festivités. Le traditionnel tournoi de golf, prélude au camp d'entraînement, est tenu dans un club de la région. L'absence du capitaine à ces retrouvailles étonne, sans plus. Le bruit court que le petit attaquant s'est senti mal, la veille, lors du vol entre Amsterdam et Montréal et qu'il se repose un peu.

À l'Hôpital général, la tension monte d'un cran. L'incision d'une petite caméra dans l'abdomen de Koivu, une laparoscopie, confirme la présence généralisée de tumeurs. La biopsie précise le diagnostic: Koivu est atteint d'un lymphome non hodgkinien. Le traitement sera violent: chimiothérapie et radiothérapie. Ses chances de survie? Incertaines, au mieux.

La responsabilité d'annoncer cette nouvelle à Koivu, alors âgé de 26 ans, incombe au Dr Mulder. En poussant la porte de sa chambre d'hôpital, il note l'ironie: le hasard a attribué au jeune capitaine du Canadien la chambre 11-11, comme son numéro de chandail. Alité, le visage pâle, Koivu attend les informations du médecin en compagnie de sa conjointe, Hanna.

«Saku savait que les nouvelles risquaient d'être mauvaises, dit le Dr Mulder. La laparoscopie lui en avait donné le signal. Ce fut très dur, mais je lui ai transmis les faits de manière franche et directe. À l'époque, il parlait moins bien anglais qu'aujourd'hui. Il m'a simplement demandé: «Est-ce le cancer?»»

Alertés, les parents de Koivu sont déjà en route pour Montréal. Le père d'Hanna, médecin en Finlande, facilite les communications entre Saku et ses médecins. Le Dr Mulder est un chirurgien thoracique, passionné de hockey depuis son enfance en Saskatchewan, mais peu familier avec les traitements liés au cancer. Son collègue Blair Whittemore, hémato-oncologue, prend le relais. Mais compte tenu de ses liens avec Saku, le Dr Mulder participe à toutes les décisions.

«Après avoir parlé à Saku, nous avons expliqué la nature du traitement à ses parents, rappelle-t-il. Ce fut une conversation difficile. Le protocole choisi était vigoureux. Mais ils sont demeurés stoïques malgré le choc énorme qu'ils encaissaient, comme un coup de massue entre les deux yeux. Il fallait quelqu'un en forme comme Saku pour passer au travers.»

- Saku a-t-il pleuré lorsque vous lui avez annoncé la nouvelle?

- Non, je ne l'ai jamais vu pleurer devant moi. Mais il est venu près de le faire plus tard, lors de certaines phases du traitement. C'était très éprouvant physiquement.

Koivu est transféré à la chambre 17-11. Encore ce chiffre qui le suit.

La rage de vivre

Durant les traitements, le Dr Mulder visite Saku Koivu quotidiennement. Il est à ses côtés après une épreuve particulièrement douloureuse, une injection au bas du dos, dans le canal vertébral, qui le rend extrêmement sensible à la lumière et provoque des maux de tête. «Je n'oublierai jamais: la chambre était entièrement noire. Saku était couché sur le ventre, la tête plus basse que le corps pour éviter des écoulements là où l'aiguille était insérée. J'ai senti sa douleur, presque son désespoir. Il avait peine à parler, mais il m'a juré qu'il vaincrait la maladie.»

Doté d'une volonté de fer, Koivu traverse chaque épreuve avec succès. Au fil des semaines, il retrouve peu à peu les forces que les puissants médicaments bombardés dans son corps lui ont sapées. Pour mesurer sa progression, les médecins ont besoin d'un TEP-Scan, une machine sophistiquée, mais introuvable à Montréal. Koivu doit se rendre à Sherbrooke, alors la seule région du Québec dotée de cet équipement.

«Lorsqu'il a appris que les tumeurs avaient disparu, à sa dernière visite à Sherbrooke, il m'a appelé avant de rentrer à Montréal et m'a simplement dit: «C'est le plus beau jour de ma vie.»»

Saku Koivu, dont on craignait pour la vie sept mois plus tôt, peut maintenant envisager un retour au jeu. Il a perdu ses cheveux et beaucoup de poids. Mais sa rage de vivre est plus intense que jamais. Il se remet à l'entraînement. Le Dr Whittemore est formel: pas question de jouer dans un match de la LNH avant que Koivu ne rencontre ses propres critères médicaux, révélés par des analyses sanguines.

En avril, Koivu reçoit l'autorisation de jouer. Il rejoindra ses coéquipiers le mardi 9 avril, au Centre Bell, contre les Sénateurs d'Ottawa. «Ce fut la soirée la plus mémorable de ma carrière de médecin, dit le Dr Mulder. Je n'ai jamais ressenti autant d'émotion.»

Après l'échauffement, Koivu se rend dans le petit bureau du Dr Mulder, à deux pas du vestiaire. Il le serre dans ses bras et lui dit merci. Puis, en le quittant, il lance: «Docteur, ce n'est pas normal qu'une ville comme Montréal n'ait pas de Tep-scan. Même ma petite ville natale de Turku profite de cet appareil. Je vais vous aider à trouver une solution.»

Quelques instants plus tard, Koivu saute sur la patinoire devant une foule de 21000 personnes, chacune les larmes aux yeux. L'ovation dure près de 10 minutes, une des plus longues jamais accordées à un joueur du Canadien.

«On réussira»

La saison terminée, Saku Koivu rentre en Finlande. En juillet, il célèbre son mariage avec Hanna. Les Drs Mulder et Whittemore comptent parmi les invités.

«Après le banquet, Saku s'est approché de moi, dit le Dr Mulder. Il a de nouveau évoqué son projet de doter l'Hôpital général de Montréal d'un Tep-scan. Je lui ai dit que ce serait très compliqué, que le coût atteindrait plusieurs millions de dollars. Il a simplement rétorqué: «On réussira.»»

Pierre Boivin, le président du Canadien, prend le dossier à bras-le-corps. Des milliers de courriels sont expédiés, alors une nouveauté pour une campagne de financement. L'objectif est de recueillir 200000$ auprès du public. En trois jours, le cap du million est franchi! «De nombreux enfants nous ont expédié une poignée de dollars, rappelle le Dr Mulder. C'était très touchant.»

Les 3 millions obtenus du public, couplés aux contributions financières de fondations privées et du gouvernement du Québec, permettent d'atteindre la somme de 8 millions nécessaire à l'achat du premier Tep-scan à Montréal. Dix-huit mois plus tard, il entre en service.

«Cet appareil permet d'établir un diagnostic plus rapide et plus précis, explique le Dr Mulder. Conséquemment, il raffine les traitements. Cela a révolutionné nos soins.»

Aujourd'hui, plusieurs hôpitaux et cliniques privées de Montréal comptent sur un Tep-scan. Mais il y a 10 ans, celui de l'Hôpital général, obtenu grâce à l'acharnement d'un joueur de hockey ayant frôlé la mort, était le seul disponible. Des centaines de patients en ont profité. Et ont ainsi évité, le Dr Mulder en est persuadé, une mort prématurée.

Voilà le véritable héritage de Saku Koivu.