Gary Bettman n'a pas apprécié ma question, m'interrompant avant même que je puisse la terminer. Le sujet, manifestement, est sensible. Le retour éventuel des Nordiques à Québec suscite beaucoup d'intérêt dans les coulisses de la LNH et Bettman est contraint à un numéro d'équilibrisme.

D'une part, le commissaire a répété au cours des derniers mois que la candidature de Québec pourrait être considérée si l'occasion se présentait, pourvu qu'un nouvel amphithéâtre soit construit et qu'un investisseur fortuné s'intéresse au projet. Avec raison, ces propos ont enthousiasmé les gens de Québec.

D'autre part, et ce fut de nouveau le cas samedi, Bettman exhorte les plus enthousiastes à modérer leurs attentes, rappelant que la LNH n'entretient ni le projet de déménager une équipe ni celui de procéder à une expansion.

Alors, M. Bettman, s'agit-il d'un double message, d'une façon d'entretenir la confusion avec un savant mélange de chaud et de froid? «Ce n'est pas correct de dire ça, m'a-t-il répondu. J'essaie plutôt d'être clair comme le cristal. Je dis simplement de ne pas construire un nouvel amphithéâtre pour nous parce que je ne vous promets pas une équipe actuellement.»

Au Canada anglais, Bettman a été sévèrement blâmé lorsque le projet de déménager les Coyotes de Phoenix à Hamilton a échoué en 2009. C'est dans la foulée de cette affaire qu'il a évoqué en termes encourageants les éventuels retours de Québec et Winnipeg dans la LNH. Comme s'il voulait briser une perception qui lui colle à la peau: celle d'être viscéralement opposé à l'ajout de villes canadiennes dans la LNH.

***

Que Bettman tente de refroidir les attentes des amateurs québécois n'a rien d'étonnant. Sa première responsabilité demeure envers les équipes existantes. Il serait inconcevable d'évoquer publiquement le déménagement d'une concession avant que l'affaire ne soit ficelée.

Il n'en reste pas moins que Bettman a rencontré le premier ministre Charest, le maire Labeaume et le président de Quebecor au cours des derniers mois. De Pierre Karl Péladeau, il dit ceci: «Je l'apprécie sur le plan personnel.»

Mais les affaires sont les affaires. Et sur ce terrain, Bettman et Péladeau se retrouveront dans des camps opposés cette semaine devant le CRTC, organisme qui régit les télécommunications au Canada.

Dans le cadre des audiences entourant la vente des stations de CTVglobemedia à Bell (BCE), Quebecor demande au CRTC de mettre fin à l'exclusivité de RDS, chaîne visée par la transaction, dans la diffusion des matchs du Canadien. Quebecor allègue que ce contrat fournira des avantages anticoncurrentiels à BCE, déjà propriétaire minoritaire du Canadien.

Cette demande ne fait évidemment pas l'affaire du Canadien, qui estime pouvoir disposer à son gré des droits sur les matchs de l'équipe. Mais elle heurte également la LNH, qui est partie au dossier. Gary Bettman suit l'affaire de près et n'écarte pas une intervention au besoin.

En effet, le Canadien n'a pas accordé seul cette entente d'exclusivité à RDS, mais plutôt en collaboration avec la Ligue nationale. Pour reprendre l'expression consacrée, il s'agit d'un joint venture, une formule qui existe depuis l'époque de Ronald Corey.

Pourquoi? Tout simplement parce que, dans la LNH, les droits locaux de télédiffusion appartiennent aux équipes et les droits nationaux, à la LNH. De façon à faciliter les négociations avec les diffuseurs, le Canadien et la LNH ont versé au sein d'une enveloppe commune les droits sur les rencontres leur appartenant. (Seuls les matchs nationaux en anglais ne sont pas touchés par cet accord.)

«Nous sommes partenaires avec le Canadien dans cette entente, a indiqué Bettman. Je crois que les détenteurs de contenus ont le droit de conclure des ententes d'exclusivité s'ils estiment que cela a plus de sens pour eux. Toute entreprise détentrice de droits peut déterminer comment son produit sera exploité.»

Au moment où Quebecor veut séduire Bettman, voilà qu'elle conteste la nature d'une entente à laquelle la LNH est partie devant un organisme réglementaire canadien.

Sur le plan stratégique, il s'agit d'un pari risqué. Il sera intéressant de surveiller jusqu'à quel point les représentants de Quebecor appuieront sur l'accélérateur lorsqu'ils témoigneront devant le CRTC. Chose sûre, Gary Bettman sera aux aguets. «Ce n'est pas juste le Canadien, c'est un joint venture avec le Canadien et nous», a-t-il répété.

***

Le bureau des gouverneurs de la LNH forme un club sélect où l'admission n'est pas automatique. Le critère essentiel demeure le poids du portefeuille. La LNH recherche des proprios aux reins assez solides pour financer adéquatement et à long terme leur équipe.

L'opinion de Gary Bettman et des autres proprios sur les candidats potentiels joue néanmoins un rôle. Ce week-end, Terry Pegula, magnat du pétrole et du gaz naturel qui désire acheter les Sabres de Buffalo, a paradé devant ce conclave pour expliquer ses motivations.

Pegula a vendu son entreprise 4,7 milliards à Royal Dutch Shell l'an dernier. Il a remis 88 millions à l'Université Penn State pour qu'elle mette au point un programme de hockey digne de ce nom. On pourrait croire que la LNH sauterait à pieds joints sur l'occasion d'en faire son partenaire. M. Pegula sera évidemment admis dans le club. Mais la LNH prendra le temps nécessaire avant d'avaliser la transaction.

Les propriétaires d'une nouvelle équipe à Québec, si les Nordiques reviennent à la vie, seront soumis au même examen. Dans la LNH, les futurs proprios doivent accepter les politiques du bureau chef. Et s'attirer la sympathie de Gary Bettman.

Photo: AP

Le commissaire de la LNH, Gary Bettman.