Une heure avant l'arrivée de Jean Charest, dans un salon coincé au deuxième étage du Colisée, Régis Labeaume a expliqué pourquoi Québec avait besoin d'un nouvel amphithéâtre.

«Vous devriez voir le set-up dans les galas de boxe, a-t-il lancé, de son ton bon enfant. Les camions sont dehors avec des fils qui passent sous les portes de garage! Ça n'a aucun sens. Au Centre Bell, la van, comme disait Molière, rentre dans l'édifice!»

Dès lors, le ton était donné. Québec, a plaidé le maire, est une capitale nationale et une grande ville nordique. Ce vieux Colisée, bâti pour accueillir Jean Béliveau en 1949 et retapé à l'entrée des Nordiques dans la LNH, 30 ans plus tard, est désuet.

Là-dessus, tout le monde s'entend. Le véritable enjeu est plutôt de savoir si cela justifie que la Ville de Québec et le gouvernement provincial investissent chacun 200 millions pour corriger la situation. D'autant plus que l'ensemble du projet repose sur un pari audacieux: le retour des Nordiques dans la LNH.

Car il ne faut pas s'y tromper: dans ce projet, tout, absolument tout, est pensé en fonction de cet objectif. Si le maire Labeaume ne souhaitait pas si ardemment le retour du hockey professionnel dans sa ville, l'annonce d'hier n'aurait jamais eu lieu.

M. Labeaume est convaincu que la relance de l'économie américaine se poursuivra et que les équipes actuellement en péril pourraient ainsi sortir la tête de l'eau. Voilà pourquoi Jean Charest et lui n'attendent pas la participation du fédéral. Chaque jour compte pour attirer dans la Vieille Capitale une équipe en mauvaise posture et le maire n'est pas un homme patient.

«J'appelle Gary Bettman cet après-midi pour lui annoncer que nous allons de l'avant», a-t-il lancé, comme s'il voulait s'emparer d'un cellulaire pour régler ça sur le champ.

Cela dit, la présentation d'hier a été intéressante. La séance télévisée d'autocongratulation ne rend pas justice à l'affaire. Plus tôt, les renseignements techniques offerts par le maire et ses conseillers étaient étoffés.

La Ville de Québec a fait ses devoirs. En termes de précision, nous étions à des années-lumière des vaporeux projets de nouveau Colisée pour les Nordiques et de nouveau stade pour les Expos dans les années 1990.

Au plan financier, le maire assure que la construction de l'amphithéâtre comptera pour moins de 1% du budget de la Ville et n'entraînera aucune hausse de taxes. Une surcharge de 4$ par billet consacrera le principe de l'utilisateur-payeur et créera un fonds pour pallier les imprévus.

De son côté, Jean Charest a pris un malin plaisir à évoquer les largesses dont profite Montréal pour justifier cet investissement: nouvelle salle de concert de l'OSM, dépenses de la Régie des installations olympiques, investissements dans la place des Festivals...

Bref, les deux hommes appuient à fond sur l'accélérateur et assument leur décision. Que cet argent serve au bout du compte les intérêts d'un propriétaire d'une équipe de la LNH ne leur pose aucun cas de conscience. Dans les faits, le pire serait que la LNH dise non à Québec! Quatre cents millions, c'est indéfendable pour du hockey junior, cinq soirées de boxe et une poignée de spectacles.

Le hockey, soutient le maire, est un phénomène rassembleur qui attirera des jeunes à Québec, une ville à la population âgée qui a besoin de sang nouveau pour combler ses besoins en main-d'oeuvre. «À Montréal, au printemps dernier, les séries éliminatoires l'ont rappelé à tout le monde, a-t-il dit. Les jeunes tripent sur le hockey!»

La stratégie de M. Labeaume, à laquelle s'est rallié le gouvernement Charest, est importée des États-Unis.

Plusieurs maires de villes américaines ont justifié de la même façon ces investissements colossaux: revitalisation d'un quartier éprouvé, développement urbain autour du nouvel amphithéâtre et retombées économiques. Sans oublier un élément intangible, mais essentiel: la fierté de la communauté. Au Québec, un élu qui invoque ces arguments pour justifier pareil projet, c'est du jamais vu depuis Jean Drapeau.

Faudra maintenant voir si ce futur amphithéâtre accueillera une équipe de la LNH. Le maire est à la recherche de promoteurs privés pour combler cette partie du mandat. Manifestement, il ne semble pas pressé de livrer son nouveau Colisée à Quebecor, seul investisseur ayant publiquement fait part de son intérêt.

«J'aurais pu avoir déjà signé une entente, a expliqué M. Labeaume. Mais je n'aurais pas fait convenablement mon travail. Je dois défendre le bien commun et je veux la meilleure offre possible. Nous avons de nouveaux clients, des gens qui réalisent qu'on est sérieux, et qui s'intéressent à l'affaire. Des consortiums se forment.»

La qualité de l'entente avec les investisseurs privés sera primordiale. Si Québec accède de nouveau à la LNH, la Ville devra prendre les précautions pour que ce nouvel amphithéâtre ne devienne pas un gouffre sans fond, avec un propriétaire d'équipe menaçant de déménager dès la première difficulté économique.

Le maire Labeaume me semble assez solide pour éviter ce piège. Sinon, il se transformera malgré lui en héros d'une pièce de Molière, celui qui se fait rouler sans le réaliser.