On espérait tous un podium, mais cette cinquième place d'Alex Harvey hier, à Oslo, est fabuleuse. Sur le plan sportif, évidemment, mais encore plus en concentration et en volonté. Le jeune fondeur a rayé de son esprit la controverse qu'il avait lui-même provoquée trois jours plus tôt.

En le voyant franchir le fil d'arrivée une poignée de secondes derrière le vainqueur, une phrase de son célèbre paternel m'est revenue en mémoire. «Le matin d'une course, Alex se transforme en guerrier», m'a dit Pierre Harvey, le mois dernier.

Cette image résume parfaitement l'exploit d'Alex sur la plus formidable scène que le ski nordique puisse imaginer. Après avoir raflé l'or mercredi au sprint par équipes, Alex a causé une commotion en décidant de se retirer du relais 4x10 km.

Cette épreuve semblait pourtant prometteuse pour l'équipe canadienne. Pierre Harvey me l'avait confirmé, disant croire à une place parmi les cinq premières. «C'est peut-être trop tôt pour un podium, mais on ne sait jamais.»

La médaille d'or inattendue de mercredi a cependant chamboulé les plans d'Alex. Afin de conserver ses forces pour le 50 km, il a fait l'impasse sur le relais, suscitant la colère de son coéquipier Ivan Babikov.

Comme l'a rapporté mon collègue Simon Drouin, Babikov s'est vidé le coeur: «Un d'entre nous commet la plus grande erreur de sa vie et j'ai perdu tout respect pour cette personne.» Vingt-quatre heures plus tard, Babikov n'avait pas décoléré, évoquant un «manque de respect» et ajoutant que la décision de Harvey lui aurait valu d'être «renvoyé à la maison sur-le-champ» au sein de plusieurs équipes nationales.

C'est dans cette ambiance tendue que Harvey, bien au fait de la rage de Babikov, a préparé sa course. Dans le sport, les querelles entre membres d'une même équipe sont monnaie courante. Mais elles prennent une dimension supplémentaire lorsqu'elles surviennent dans un moment clé de la saison et trouvent un aussi vaste écho public.

Les fondeurs canadiens, peu habitués à une couverture médiatique soutenue, se sont retrouvés sous les feux de la rampe. Exit le relatif anonymat dans lequel ils pratiquaient leur sport jusque-là! Alex Harvey, à peine remis des émotions procurées par sa médaille d'or, s'est retrouvé au banc des accusés.

Bien sûr, au Québec, on aura tendance à croire Babikov mauvais joueur. Mais analysons la situation de son point de vue. Comment aurait-on réagi si Babikov, plutôt que Harvey, avait remporté l'or au sprint et ensuite annoncé son retrait du 4x10 km, privant ainsi Alex d'une occasion de podium?

Chose sûre, c'est ainsi que Babikov a vécu l'affaire. À preuve, sa déclaration pleine d'émotion: «Ç'aurait pu être ma chance de remporter une médaille, peut-être la seule de ma vie.»

Des différends semblables surviennent parfois dans les sports foncièrement individuels, même dans leurs épreuves par équipes. Rappelons-nous les tensions entre Bruny Surin et Donavan Bailey lors des relais des grands rendez-vous internationaux.

Alex Harvey n'est âgé que de 22 ans. Mais cette semaine, il a montré une force de caractère inouïe pour un aussi jeune athlète. Après sa belle victoire de mercredi, il a pris une décision audacieuse et l'a assumée avec panache.

«Des champions du monde à l'entraînement, il s'en trouve plusieurs, a ajouté Pierre Harvey. Mais savoir dominer la pression lorsque la vraie bataille commence, ce n'est pas tout le monde qui réussit. Le jour J, il faut savoir mettre les morceaux ensemble.»

Le paternel connaît bien son fils. Lorsqu'on jumelle le cran d'Alex à ses performances cette saison, une conclusion s'impose: tous sports confondus, il est l'athlète de l'heure au Canada.

Photo: AP

Le fondeur québécois Alex Harvey a montré cette semaine une force de caractère inouïe pour un athlète de 22 ans.