En 2013, Gary Bettman célébrera son 20e anniversaire à la tête de la LNH. S'il n'approche pas le record de Clarence Campbell, président du circuit durant 31 saisons, on devine chez lui l'obstination ayant marqué la désastreuse fin de règne de son plus célèbre prédécesseur.

Lorsqu'un haut dirigeant occupe son poste depuis plusieurs années, cela dénote souvent un leadership fort et avisé. Mais un piège peut se cacher derrière cette longévité: devenir prisonnier de sa propre rhétorique. Dans les années 70, ce travers de Campbell a coûté cher à la LNH.

À l'époque, le hockey professionnel vivait une guerre économique. La LNH, jadis un monopole, se retrouvait confrontée à l'Association mondiale de hockey. Dirigée par des hommes frondeurs, l'AMH lança une offensive tous azimuts contre le vieux circuit.

Clarence Campbell ne reconnut jamais le sérieux de cette attaque. Aux propriétaires d'équipes craignant cette nouvelle concurrence, Campbell répétait que l'AMH s'écroulerait vite sous le poids de ses dettes.

Le nouveau circuit tint pourtant le coup durant sept saisons. Ses équipes perdirent beaucoup d'argent, mais leurs rivales de la LNH aussi. Lorsqu'il devint évident que l'AMH ne disparaîtrait pas de sitôt comme Campbell l'avait promis, celui-ci fut poliment poussé à la retraite.

Au lieu d'analyser lucidement la situation, Campbell avait préféré croire ses propres paroles.

J'ignore si Gary Bettman connaît cette partie de l'histoire de la LNH. Mais en l'observant naviguer maladroitement dans le dossier des Coyotes de Phoenix, je parierais que non.

Malgré sa timide ouverture au retour potentiel de la LNH à Winnipeg et Québec, Bettman a multiplié les efforts pour éviter ce scénario. Prisonnier de sa vision, selon laquelle le hockey professionnel prospérerait dans le sud des États-Unis, il refuse de reconnaître son échec dans certaines villes.

Si les Coyotes ou les Thrashers d'Atlanta atterrissent à Winnipeg ou Québec, ce ne sera certes pas sous l'impulsion de Bettman. Les événements auront plutôt eu raison de ses rêves.

Le possible transfert des Coyotes à Winnipeg a ravivé les espoirs de tous ceux, et j'en suis, qui estiment le Canada sous-représenté dans la LNH. Les plus optimistes espèrent un effet domino: d'abord la renaissance des Jets, puis celle des Nordiques.

Ce scénario grisant ne doit pas masquer l'essentiel: l'absurdité inouïe de la LNH en Arizona. Au lieu de reconnaître que Phoenix n'était pas une ville de hockey, Bettman a mené une lutte féroce pour empêcher Jim Balsillie de mettre la main sur les Coyotes en 2009. Comme si la LNH pouvait faire l'économie de ce type de propriétaire, riche à craquer et passionné de hockey.

Parce que M. BlackBerry voulait déménager les Coyotes au Canada, la LNH a repris l'équipe, puis recherché un nouveau proprio. Elle a déniché sa perle rare, Matthew Hulsizer, à Chicago. La LNH était si désespérée qu'elle a accueilli avec joie sa proposition loufoque: pas question de débourser un seul dollar de sa poche pour acheter la concession!

La Ville de Glendale, où est situé l'aréna des Coyotes, doit fournir à Hulsizer 197 millions pour conclure la transaction: 100 millions en retour des revenus de stationnement et 97 millions à titre de compensation pour gérer l'amphithéâtre. Une émission d'obligations municipales permettra de récolter plus de la moitié de cette somme.

Cette entente, trop généreuse pour Hulsizer, n'a aucun sens. Mais la LNH, arrogante comme jamais, croyait que cet indécent montage financier passerait sous le radar des citoyens de l'Arizona. Heureusement, l'Institut Goldwater, un groupe de pression conservateur, a sonné l'alarme et menacé de poursuivre la Ville.

Or, la mairesse de Glendale, Elaine Scruggs, sait qu'un recours en justice effraierait les investisseurs et empêcherait l'émission d'obligations. Furieuse, elle attend la décision de l'Institut Goldwater. Poursuivra? Poursuivra pas? L'Institut laisse planer le suspense, notamment parce que la Ville de Glendale a longtemps refusé de lui remettre des documents pertinents.

Dans un geste pathétique, la Ville a menacé à son tour de poursuivre Goldwater, l'accusant de nuire à son essor. La réplique de l'Institut a été cinglante: sa chef de la direction, Darcy Olsen, a rappelé avoir invité Gary Bettman, Matthew Hulsizer et la mairesse Scruggs à une discussion publique.

«L'entente ayant été conclue derrière des portes closes, nous croyons que toute nouvelle réunion devrait être tenue de manière transparente», a-t-elle expliqué.

Cette offre sera évidemment refusée. Et pendant ce temps, les projections sur les éventuels revenus de stationnement, qui serviraient à payer les détenteurs d'obligations, font l'objet d'un débat nourri. Le parking, eh oui, représente la bouée de sauvetage des Coyotes! Pour une organisation qui fait du sur-place depuis si longtemps, cela ne manque pas d'ironie.

Dans les années 70, Clarence Campbell, prisonnier de ses certitudes, a multiplié les erreurs dans sa lutte contre l'AMH.

Quarante ans plus tard, Gary Bettman semble l'imiter. Son rêve d'implanter le hockey dans le sud des États-Unis connaît des ratés. Mais il continue à nier l'évidence, couvrant ainsi la LNH de ridicule.

Encore une fois hier, en visite à Glendale, il a exprimé ses regrets face à l'incapacité des parties de conclure l'entente. Mais il a refusé de désigner une date butoir, se contentant de répéter, selon nos collègues de Phoenix, que la fin du dossier approchait.

Ce déni de Bettman est dommage car il masque plusieurs de ses bons coups. Depuis la fin du lock-out en 2005, la LNH s'est transformée pour le mieux. Le jeu est excitant et le marketing, audacieux. À plusieurs niveaux, le circuit se porte mieux que jamais.

Mais tant que Bettman s'accrochera à son rêve américain, et cela au mépris des fans canadiens, sa place dans l'histoire du hockey demeurera incertaine. Il peut encore poser les bons gestes mais le temps presse. Sinon, son entêtement rappellera celui de Clarence Campbell.