Décembre 1997, à l'aéroport de St. Louis. Songeur, Jacques Martin attend sa valise devant le carrousel à bagages. Autour de lui, les joueurs des Sénateurs d'Ottawa affichent un profil bas. Depuis six semaines, l'équipe encaisse défaite sur défaite et l'humeur de l'entraîneur n'est pas à la rigolade.

Soudain, Pierre Gauthier s'approche de Martin.

- Jacques, j'aimerais te voir, ainsi que tes adjoints, à notre arrivée à l'hôtel...

- OK, Pierre.

Gauthier et Martin se connaissent depuis l'époque où ils travaillaient pour les Nordiques de Québec, au début des années 90. Le premier dans le recrutement, le second comme entraîneur adjoint.

Lorsque les Nordiques jouaient à domicile, Martin demeurait au Colisée après l'échauffement matinal. L'après-midi, il montait au bureau de Gauthier. Les deux hommes discutaient de hockey, leur passion de toute une vie.

Martin sait que Gauthier, désormais directeur général des Sénateurs, l'apprécie. Mais il connaît la dure loi du hockey. Un entraîneur doit gagner. Et en cette première moitié de saison 1997-1998, les Sénateurs ne comblent pas les attentes. Est-il possible que son vieil ami ait une mauvaise nouvelle à lui annoncer? Dans l'autobus qui conduit les Sénateurs à l'hôtel, Martin a le temps de se poser mille fois la question.

Les valises déposées à sa chambre, Martin se dirige vers la suite de Gauthier. L'heure de vérité a sonné.

«Les gars, annonce le jeune DG, ne vous attendez pas à ce que je conclue un échange pour relancer l'équipe. Je n'agirai pas ainsi. Les solutions doivent venir de l'intérieur. Et nous allons les trouver ensemble.»

Près de 14 ans plus tard, assis dans son bureau près du vestiaire du Canadien, Jacques Martin raconte cette anecdote les yeux brillants.

«Les propos de Pierre m'avaient beaucoup marqué, dit-il. Ce fut un moment clé dans le développement des Sénateurs. Souvent, lorsque les choses ne vont pas bien, les joueurs ont tendance à demander de l'aide de l'extérieur. Ils doivent plutôt faire partie de la solution, pas se demander si la direction ira chercher un ailier pour les dépanner! Les décisions de la direction, on ne les contrôle pas. Mais on contrôle ce qu'on apporte soi-même à l'équipe.

«Je me suis toujours souvenu de cette leçon. Quand ça ne fonctionne pas, ne regarde pas ailleurs. Trouve les réponses à l'intérieur. C'est une bonne politique dans le hockey, mais aussi dans la vie en général lorsqu'on affronte un problème.»

Compte tenu des nombreux malheurs survenus au Canadien cette saison, cette philosophie sert bien Martin. Loin des caméras, cet homme de 58 ans habituellement si réservé répond à mes questions avec générosité. Ce qu'il révèle de ses principes illustre pourquoi le Canadien connaît une excellente saison malgré l'absence de nombreux joueurs de premier plan. Voilà pourquoi il est si intéressant de le redécouvrir.

Ce qui étonne le plus dans le rendement de l'équipe, c'est cette propension à se relever lorsqu'on la croit K.-O. Le Canadien a remporté plusieurs matchs déterminants où une défaite aurait pu l'enliser. Cela ne relève pas du hasard.

«On travaille en segments de cinq matchs, explique Martin. C'est important car ça ramène notre focus sur de plus courtes périodes. Si on récolte en moyenne six points à chaque segment de cinq parties, ça nous vaut une saison de 96 à 100 points. C'est suffisant pour participer aux séries éliminatoires.»

Martin représente presque une incongruité dans le sport professionnel. La mode est aux jeunes entraîneurs, porteurs d'idées neuves, et habiles communicateurs. L'entraîneur du Canadien n'est pas issu de ce moule. Lorsque je lui en fais la remarque, il répond calmement: «L'expérience ne s'achète pas!»

Au-delà du clin d'oeil, Martin touche un point significatif. Il a tout vu ou presque dans la LNH. Et il sait que pour obtenir le respect des joueurs, il doit demeurer lui-même.

«Les gars sont intelligents, ils sont capables de lire leur entraîneur, dit-il. Il faut avoir un plan, une vision et une bonne structure de travail.

«Au fil des années, je me suis développé une philosophie. J'y suis resté fidèle, tout en l'ajustant. Les jeunes joueurs sont à l'image de la société. Ils sont différents de ceux que j'ai connus à mes débuts dans la Ligue nationale. Je me suis adapté à eux.

«Mais au bout du compte, le hockey demeure une business de personnes. Il faut traiter les gens avec honnêteté. Moi, je me perçois comme un gestionnaire qui doit gérer 23 joueurs, du personnel de soutien, les médias et mes patrons.»

Martin n'est pas de la génération qui montre facilement ses sentiments. Pourtant, en discutant avec lui, j'ai compris une autre clé de son succès. Il aime ses joueurs. Pour le saisir, suffit de l'entendre évoquer le leadership de Brian Gionta et Hal Gill, ou son plaisir devant la montée de la relève.

«Des gars comme Max Pacioretty, David Desharnais, P.K. Subban, Yanick Weber et Lars Eller ont apporté une belle contribution. C'est important d'avoir des jeunes dans l'équipe. Ils ajoutent de l'enthousiasme. Aujourd'hui, le hockey est tellement compétitif. On ne gagne plus grâce au talent. On gagne avec le caractère, la détermination, l'engagement et l'exécution.»

Et aussi avec un entraîneur qui a vu neiger, capable de composer avec calme à travers les inévitables déceptions d'une longue saison, comme la défaite d'hier face aux Capitals de Washington.

Derrière le banc, le Canadien est bien servi.