À l'époque du vieux Garden de Boston, il y avait un écriteau à l'entrée du vestiaire des Bruins. Le message était succinct: «Heart and balls», qu'on peut poliment traduire par «Du coeur et du cran».

Les années ont passé. Les Bruins évoluent dans un édifice moderne, mais leur philosophie n'a pas changé. À leur mieux, ils forment une équipe intimidante, difficile à vaincre devant ses partisans. Le Canadien l'a constaté à la dure, hier. Dans le match le plus attendu de la saison, les joueurs de Jacques Martin ont offert une performance sans passion.

Pourtant, les éléments de motivation ne manquaient pas à la suite de l'affaire Chara-Pacioretty. Les déclarations incendiaires de Mark Recchi, 24 heures avant la séance de démolition d'hier, ont choqué les joueurs du Canadien. Mais ils ne l'ont pas montré sur la patinoire.

Recchi a estimé que Pacioretty avait subi une bien minuscule commotion cérébrale après le coup de Chara. Sa pièce à conviction: un message de Pacioretty sur Twitter, six jours après l'événement: «Je viens de voir Hall Pass. Très drôle.»

Hall Pass (Le passe-droit en version française) est une comédie américaine à ne pas confondre avec un film de Lars Von Trier. Selon Recchi, qu'on ne connaissait pas si ferré en médecine, un joueur victime d'une commotion cérébrale ne va pas au cinéma. Cette certitude lui a fait conclure que le Canadien avait «embelli» la blessure de Pacioretty dans l'espoir que Chara soit suspendu.

Un tel verdict est-il fondé en médecine? Le fait de voir un film en salle démontre-t-il l'absence de véritable commotion cérébrale?

À cette question, le professeur Dave Ellemberg, neuropsychologue au département de kinésiologie de l'Université de Montréal, sourit en coin.

Si vous m'aviez dit qu'il avait vaincu un maître aux échecs ou terminé parmi les meilleurs d'un marathon, peut-être! Mais une victime de commotion cérébrale peut marcher, bouger ou voir un film. Ça ne fournit pas d'indications précises sur sa mémoire, son attention et sa concentration.»

Les propos de Recchi ont rappelé au Dr Ellemberg combien la tentation de banaliser les commotions cérébrales reste ancrée dans le sport professionnel. Comme il y a 25 ans.

Tenez, en février dernier, Dave Duerson, un ancien demi de sûreté des Bears de Chicago, s'est suicidé. Il avait 50 ans. Victime de nombreuses commotions cérébrales durant sa carrière, il s'était plaint, peu avant sa mort, de pertes de mémoire et d'incapacité à épeler des mots.

En commentant la nouvelle, Mike Ditka, l'ancien entraîneur des Bears, a dévoilé la réalité de l'époque. «Si on subissait une commotion cérébrale, on levait une main devant nous sur les lignes de côté et on nous demandait combien de doigts on voyait. Si on répondait deux et qu'il y en avait trois, on jugeait qu'on était assez proche de la bonne réponse pour retourner au jeu.»

Cela dit, si Recchi s'est montré si candide, c'est sûrement parce qu'il fut un témoin privilégié du pénible retour à la santé de deux coéquipiers, Patrice Bergeron et Marc Savard, après leur commotion cérébrale.

Frappé durement par un joueur des Flyers en octobre 2007, Bergeron n'aurait pas été en mesure d'assister à un film six jours après l'événement. Les salles de cinéma constituent un environnement bruyant, susceptible d'aviver le malaise.

Voyez ce que Bergeron disait deux semaines après ce choc: «Je suis resté au lit pendant trois ou quatre jours. Le simple fait de bouger me faisait mal. J'ai mis une semaine avant de pouvoir marcher. Les premiers jours, je pouvais faire 25 ou 30 pieds. Aujourd'hui, je peux me rendre jusqu'à 200 pieds.»

Son coéquipier Marc Savard a vécu une expérience semblable, étant même incapable de regarder la télévision durant plusieurs jours. Dans ce contexte, la visite au cinéma de Pacioretty, combinée à sa rapidité à la «Twitter», a suscité un doute chez Recchi.

Celui-ci devrait pourtant savoir que la médecine n'a pas percé tous les mystères des commotions cérébrales. Il est néanmoins démontré que les victimes ne réagissent pas toutes de la même façon. Ainsi, certaines vomissent, d'autres pas. La pratique de classer les commotions par degré de sévérité (niveau 1, 2, 3, 4) a été abandonnée. Une commotion est une commotion. Beaucoup de patients vont mieux après une dizaine de jours, d'autres non.

Les recherches démontrent aussi qu'un athlète victime de commotion cérébrale possède de cinq à sept fois plus de chances d'en subir une autre si les symptômes du choc initial ne sont pas disparus à son retour au jeu.

Voilà pourquoi Recchi a été mal avisé de se prononcer avec certitude sur une question complexe, qui mobilise les efforts de dizaines de chercheurs. D'autant plus qu'on ignore toujours comment Pacioretty se remettra réellement de ce traumatisme.

Les probabilités sont bonnes que le Canadien et les Bruins s'affrontent au premier tour des séries éliminatoires. Si on se fie aux quatre derniers matchs entre les deux équipes, l'avantage de la glace sera déterminant. Les Bruins ont dominé les deux matchs à Boston et le Canadien en a fait autant à Montréal.

Plus que jamais, le Canadien aura besoin de s'inspirer du slogan affiché dans son propre vestiaire. Non, je ne parle pas de «Nos bras meurtris vous tendent le flambeau...» Mais plutôt de l'affiche installée à une extrémité de la pièce: «Une attitude positive constitue une force puissante. Elle ne peut être stoppée.»

Intéressant, certes. Mais en séries, c'est souvent plus une question de coeur et de cran, comme disent les Bruins.