Le commissaire de la Ligue nationale de hockey, Gary Bettman, jongle avec plusieurs priorités. Ses prochaines décisions seront déterminantes pour l'avenir du circuit. Au moment où s'achève le calendrier régulier, notre chroniqueur analyse l'état de la LNH.

Avec ses 2,9 milliards de revenus annuels, la LNH représente l'enfant pauvre des quatre grands circuits professionnels de sport. Elle possède néanmoins des atouts uniques.

Le plus important d'entre eux est la paix industrielle. La convention collective signée avec les joueurs en 2005 est valide pour une autre saison, ce qui lui permet de développer son modèle d'affaires dans l'harmonie.

Pendant ce temps, la Ligue nationale de football (NFL) est empêtrée dans un lock-out, l'Association nationale de basketball (NBA) fourbit ses armes en vue de l'inévitable conflit avec ses joueurs dès juillet prochain, et le baseball majeur (MLB), dont les cotes d'écoute des matchs télévisés sont décevantes, doit renouveler sa convention collective à l'issue de la saison.

Au cours des derniers mois, la LNH a également réussi plusieurs bons coups. La Classique hivernale du 1er janvier, entre les Capitals de Washington et les Penguins de Pittsburgh, lui a valu sa plus forte audience à la télé américaine depuis 36 ans: 4,5 millions d'Américains ont vu le match.

Sept semaines plus tard, la Classique Héritage, entre le Canadien et les Flames, au stade McMahon de Calgary, a généré des revenus publicitaires plus élevés que la Classique hivernale, une agréable surprise pour les dirigeants du circuit. La LNH a ensuite annoncé la plus importante entente de commandite de son histoire, un contrat de sept ans estimé à 375 millions avec les brasseurs Molson Coors.

En revanche, la saison a aussi été marquée par des ratés importants. Le débat à propos des commotions cérébrales demeure en suspens et Sidney Crosby, le meilleur joueur du circuit, a manqué la moitié de la saison en raison de coups à la tête.

Gary Bettman a été jusqu'ici incapable de dégager un consensus afin d'enrayer le fléau. Il a reporté le problème au mois de juin en créant un comité de travail ne comptant aucun représentant du Canadien de Montréal ou des Penguins de Pittsburgh, les deux organisations ayant manifesté le plus vivement leurs inquiétudes à ce sujet.

D'autre part, l'avenir de plusieurs concessions est préoccupant. Le feuilleton des Coyotes de Phoenix n'est pas résolu et les Thrashers d'Atlanta recherchent de nouveaux investisseurs. Les Stars de Dallas sont en quasi-tutelle, sous la gouverne conjointe de la LNH et des institutions financières envers qui l'équipe est débitrice.

Sans le programme de partage des revenus inscrit à la convention collective, qui oblige les 10 organisations les mieux nanties du circuit - notamment le Canadien - à appuyer leurs partenaires financièrement moins solides, plusieurs organisations seraient coincées.

Chaque matin, lorsqu'il se présente à son bureau de Manhattan, Gary Bettman doit songer à l'ensemble de ces préoccupations. Mettons-nous un moment dans sa tête et posons-nous la question: compte tenu des cartes entre ses mains, quelle stratégie adopter pour favoriser l'essor du circuit?

Télé: le choc de 2004

En 2004, le choc a été brutal pour la LNH. Les réseaux américains ABC et ESPN n'ont pas renouvelé le contrat signé cinq ans plus tôt leur attribuant la diffusion des matchs. Cette entente valait à la LNH 120 millions par saison, une somme dont elle rêve depuis.

Gary Bettman veut effacer ce mauvais souvenir. En juin, les contrats de la LNH avec les réseaux NBC et Versus prendront fin. Le premier, fondé sur un partage des profits, ne rapporte rien à la LNH. Une fois les coûts de production acquittés, les bénéfices sont quasi inexistants. L'entente est néanmoins importante pour la ligue puisqu'elle lui vaut de la visibilité sur un grand réseau américain.

De son côté, Versus paie 77 millions par saison à la LNH. Si la qualité de la production ne fait aucun doute, le nombre d'abonnés à cette chaîne spécialisée est problématique. ESPN-2 rejoint 99 millions de foyers aux États-Unis, contre seulement 76 millions pour Versus. Malgré tout, l'auditoire est en hausse de 13% cette saison par rapport à la précédente.

Des analystes cités par le Sports Business Journal estiment que la LNH augmentera significativement ses revenus en renouvelant ses contrats de télé. Une hausse de 50% est envisagée, ce qui lui permettrait de retrouver le niveau des années 1998-2004. Ce chiffre pourrait être plus élevé si NBC-Versus (désormais partie du même groupe), ESPN et Fox se livrent à une surenchère.

Pour Bettman, ce dossier est majeur. Au-delà des revenus additionnels, le nouveau contrat de télé renforcera la place de la LNH aux États-Unis. L'étiquette de sport mineur qui lui colle à la peau, notamment en raison de ses modestes revenus télévisuels, pourrait enfin être effacée. Cela aurait un effet positif sur l'ensemble des activités du circuit.

L'avenir des Coyotes de Phoenix

Est-ce dans l'espoir de toucher un pactole inespéré que Bettman hésite avant de mettre fin à la désastreuse expérience du hockey à Phoenix?

Le transfert des Coyotes à Winnipeg serait sans doute interprété comme l'échec de l'expansion de la LNH dans le sud des États-Unis. Cela augmenterait les doutes entretenus à propos des chances de survie des Thrashers d'Atlanta et, potentiellement, des Panthers de la Floride. Les difficultés de ces équipes à s'imposer dans leur marché sont réelles.

Ainsi, les matchs des Coyotes à la télévision locale n'intéressent en moyenne que 9000 foyers! Ceux des Thrashers, 6000. Seule consolation: ces chiffres sont meilleurs que ceux des Panthers, dont les rencontres ne sont vues que dans 3000 foyers.

À titre comparatif, les matchs des Penguins de Pittsburgh retiennent l'attention de 105 000 foyers, un sommet pour une équipe américaine. Au Canada, l'audience est mesurée de manière différente et la prudence s'impose en établissant des parallèles. Cela dit, les matchs du Canadien à RDS attirent une moyenne de 794 000 téléspectateurs. En termes de foyers, cela équivaut à plus de 330 000.

Un autre motif incite Bettman à lutter pour la survie du hockey en Arizona. La LNH envoie ainsi un message fort aux équipes en difficulté et à leurs partisans: nous ferons tout pour éviter un déménagement.

On peut néanmoins penser que le commissaire souhaite aussi préserver son héritage, lui qui défend bec et ongles le développement du hockey dans le sud des États-Unis. Un premier transfert d'équipe pourrait en entraîner d'autres, créant ainsi une vague difficilement contrôlable.

Tous ces motifs, aussi logiques soient-ils, ne devraient cependant pas l'emporter, affirme Jeff Citron. Cet avocat de Toronto, spécialisé dans les affaires de l'entreprise, fut conseiller juridique de l'Association des joueurs de la LNH (AJLNH) de 1995 à 2000. Il joua un rôle actif dans le règlement du conflit survenu au début de la saison 1994-95, qui annula la première moitié de la saison.

«Il n'y a pas de honte à constater l'échec et à déménager, dit-il. À l'heure actuelle, les propriétaires des autres équipes souffrent de cette situation parce qu'ils doivent appuyer financièrement les Coyotes en vertu du partage des revenus; les joueurs en sont aussi victimes, puisque leurs salaires sont établis en fonction des revenus de la ligue et que les Coyotes en génèrent peu.»

J'ai discuté avec M. Citron cette semaine, peu après la publication de son texte suggérant à la LNH de «libérer les Coyotes» dans le Sports Business Journal, la bible de l'industrie du sport spectacle aux États-Unis. M. Citron amorce sa réflexion en citant Winston Churchill qui, rappelle-t-il, définissait le succès comme la capacité d'aller d'un échec à un autre sans perdre son enthousiasme. «Avec ces mots en tête, la LNH doit repenser à sa stratégie dans le sud des États-Unis», écrit-il.

Il ne croit pas que le transfert des Coyotes ferait mal paraître la LNH et souligne que la NBA est moins frileuse lorsque vient le temps de trancher. «Une équipe en difficulté vaut aussi une mauvaise publicité à une ligue. La NBA a agi de manière résolue lorsqu'elle a été confrontée à des problèmes semblables. Lorsque les ennuis financiers des Grizzlies de Vancouver sont devenus significatifs, elle a autorisé leur déménagement après six saisons.»

L'incertitude entourant les Coyotes et les Thrashers gonfle les espoirs des amateurs de hockey de Winnipeg et de Québec, qui rêvent du retour des Jets et des Nordiques. La valeur du dollar canadien sera déterminante dans les chances de réussite de ces deux villes, rappelle M. Citron.

Si le huard demeure au pair avec la devise américaine, le succès est possible. En revanche, une diminution marquée du dollar canadien causerait des maux de tête aux futurs propriétaires de ces équipes. Les joueurs sont en effet payés en dollars US alors que les revenus des équipes canadiennes sont majoritairement en huards.

Cela explique peut-être les réticences de Gary Bettman à ajouter des équipes canadiennes dans la LNH. Il n'a sûrement rien oublié des difficultés rencontrées par plusieurs clubs au pays lorsque la valeur de notre monnaie était largement inférieure à celle du billet vert de l'Oncle Sam.

M. Citron a été un témoin privilégié du transfert des Nordiques au Colorado. Il estime que Quebecor, si elle devenait propriétaire des nouveaux Nordiques, profiterait d'un atout que Marcel Aubut ne détenait pas. «Une éventuelle chaîne spécialisée en sport et une présence dans les médias numériques représentent un avantage évident», dit-il.

Gestes décisifs ou déni?

Gary Bettman a traversé plusieurs tempêtes depuis son arrivée à la barre de la LNH en 1993. Il a tiré des leçons évidentes du conflit de 1994-95 avec les joueurs, adoptant une attitude beaucoup plus agressive 10 années plus tard lorsque les négociations en vue de renouveler la convention collective ont de nouveau dérapé. À l'époque, personne ne croyait sérieusement que la saison 2004-05 serait annulée. C'est pourtant ce qui s'est produit.

La LNH a saisi cette occasion pour se renouveler de fond en comble. Un nouveau modèle économique a été instauré, avec l'introduction du plafond salarial et du partage des revenus. Les relations avec les joueurs ont été repensées et un comité patronal syndical a été créé. Les règles du jeu ont été modernisées, afin de rendre le spectacle plus excitant pour les fans, soudainement placés au centre des priorités de la LNH.

Il y avait alors urgence et Bettman s'est montré à la hauteur de la tâche. Aujourd'hui, la LNH semble de nouveau à la croisée des chemins. Les coups à la tête et les dizaines de commotions cérébrales subies par les joueurs lui font un mal immense. Tout comme la santé financière de plusieurs équipes.

Ce constat entraîne une interrogation essentielle pour l'avenir du circuit: Gary Bettman se montrera-t-il aussi imaginatif et décisif qu'en 2004-05 ou s'enfermera-t-il dans le déni?

Photo: AP

Le commissaire de la Ligue nationale de hockey, Gary Bettman.