Hier matin, les formalités d'accréditation terminées, j'ai quitté le magnifique centre de presse et marché quelques mètres en direction du parcours. Soudain, l'extraordinaire panorama du club de golf d'Augusta s'est dévoilé à mes yeux.

J'ai vite pris ma décision: me diriger vers Amen's Corner, cet endroit mythique du parcours où tant de prétendants au titre ont vu leurs rêves brisés. Les trous numéro 11, 12 et 13 constituent un test exceptionnel le dimanche après-midi, lorsque la tension s'abat sur le Tournoi des Maîtres avec la violence d'un orage d'été.

J'ai d'abord longé le numéro 10, une normale 4 de 495 verges, sans doute le trou le plus difficile du terrain. Sergio Garcia était là, blaguant avec des spectateurs avant de frapper son deuxième coup lors de cette ultime ronde d'entraînement.

J'ai poursuivi mon chemin d'un pas tranquille, prenant le temps d'admirer ce haut lieu du golf. Ici, la crique Rae, dangereux obstacle lorsque la première place est en jeu et que la stabilité des nerfs devient plus importante que la fluidité de l'élan. Plus loin, les centaines d'azalées encadrant le 13e trou, une courte mais diabolique normale 5.

Après avoir croisé Phil Mickleson et Rickie Fowler au 16e, je me suis dirigé vers le 17e et je l'ai enfin vu. Non, pas Tiger! L'arbre! Un pin majestueux, bordant l'allée du côté gauche, 210 verges après le tertre de départ. En 1956, un membre a voulu le couper parce que son coup de départ y atterrissait trop souvent. Ce fut un moment embarrassant dans l'histoire du club. Le membre en question était en effet Dwight D. Eisenhower, président des États-Unis.

Clifford Roberts, co-fondateur du club avec le fameux golfeur Bobby Jones, n'était certes pas pour accepter une suggestion si saugrenue. Mais comment dire non au premier citoyen du pays sans commettre une faute diplomatique? Si seulement Eisenhower avait émis sa demande de manière informelle. Mais non. Il s'exprima au cours d'une réunion des gouverneurs du club. Roberts a réagi promptement: il a déclaré le sujet irrecevable et a mis fin à l'assemblée.

Toute la personnalité du Tournoi des Maîtres et du club Augusta National se révèle dans cette anecdote. Une indépendance farouche, une certitude de son bon droit, une confiance exceptionnelle en soi.

Cette assurance constitue un atout formidable mais aussi un défaut majeur. Le club ne compte aucune femme parmi ses membres.

Et ce n'est qu'au début des années 90 qu'un Afro-Américain fut accepté au sein de ce cénacle.

Les mots «club privé» prennent ici tout leur sens.

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Tous les visages connus sont présents: Phil Mickelson, champion en titre; Tiger Woods, quatre fois gagnant; Lee Westwood, numéro deux mondial... Ils comptent évidemment parmi les favoris.

Woods, par exemple, ne démord pas de son objectif: remporter 18 tournois majeurs et égaler la marque du grand Jack Nickalus. «Je veux absolument réussir, a-t-il déclaré, mardi. Ce record constitue l'étalon or du golf.»

Woods compte 14 majeurs à son actif et le Tournoi des Maîtres est son préféré. Mais le golf a bien changé depuis sa première victoire en 1997. À l'époque, Tiger était le plus long cogneur du circuit parmi les joueurs de premier plan. Ce n'est plus le cas. Dustin Johnson et Bubba Watson, entre autres, sont de très longs frappeurs.

«Je ne fais plus partie de ce groupe, a reconnu Woods. En revanche, je ne suis pas celui qui frappe le moins loin! Je peux encore enclencher une vitesse supérieure au moment opportun. Mais eux aussi. Et comme ils frappent déjà de 15 à 20 verges plus long...»

Voilà pourquoi le tournoi 2011 s'annonce fascinant. Les jeunes loups éclipseront-ils les vétérans? Au plan des habiletés, ils en ont le potentiel. Mais au Tournoi des Maîtres, la maîtrise de soi et la capacité à réussir des coups magiques sous pression font foi de tout. Bref, au bout du compte, ce sera une bataille de nerfs.

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Le golf professionnel accueille une nouvelle génération de vedettes. Une autre preuve en a été donnée avec la couverture des deux grands magazines spécialisés, Golf et Golf Digest, dans leur dernier numéro. Le premier a choisi une photo de Dustin Johnson, 26 ans, et le second, de Rickie Fowler, 22 ans.

Petit mais doté d'une puissance inouïe, Fowler est déjà un favori des amateurs. Ses tenues flamboyantes, étonnant mélange de couleurs vives, ont contribué à le démarquer de ses concurrents. Recrue de l'année de la PGA en 2010, il ne craint rien.

«Je joue bien ces jours-ci, a-t-il dit lundi. Mes attentes sont élevées et j'aimerais bien monter l'allée du 18e trou, dimanche, en étant en lutte pour le titre. J'ai souvent rêvé à ça.»

Fowler en est cependant à sa première présence à Augusta, un sérieux handicap. Sa connaissance des verts, et de leurs ondulations traîtresses, est minimale. Cela pourrait lui valoir de sérieux ennuis.

Le Japonais Ryo Ishikawa n'est âgé que de 19 ans mais en est déjà à sa troisième participation au Tournoi des Maîtres. Talentueux, le jeune homme réussirait un formidable coup d'éclat s'il l'emportait. Imaginez: après le tremblement de terre et le tsunami qui a ravagé le nord de son pays, il a promis de verser en dons tous ses gains en bourses cette saison. Au Japon, son geste a connu un formidable retentissement.

«Le monde entier est impressionné par le calme et la résilience de mes concitoyens dans cette épreuve, a-t-il dit, lundi. Je suis très fier d'être Japonais.»

Aucun proche d'Ishikawa n'a été touché par la tragédie. Mais il connaît plusieurs personnes dans les régions touchées. «Je crois au pouvoir et à l'énergie du sport, a-t-il ajouté. Je ferai de mon mieux pour apporter de la joie à mes compatriotes. Ce sera ma façon de les encourager.»

Ishikawa a rappelé que beaucoup de gens l'avaient appuyé au début de sa carrière afin qu'il puisse développer son talent. «C'est désormais à moi d'aider les gens dans le besoin. Je le ressens comme une responsabilité.»

Woods, Mickelson, Fowler, Ishikawa et combien d'autres... Le Tournoi des Maîtres n'a jamais semblé aussi ouvert.

Quatre belles journées de golf en perspective!