Doit-on déboucher le champagne? Après tout, ces séries éliminatoires de la LNH sont en voie de se transformer en triomphe du hockey québécois.

Imaginez: avec un peu de chance, trois des quatre équipes en demi-finales, le Lightning, les Bruins et les Canucks, seront dirigées par d'ex-entraîneurs de la Ligue de hockey junior majeur du Québec: Guy Boucher, Claude Julien et Alain Vigneault.

Un coup d'oeil au classement des pointeurs apporte aussi de bonnes nouvelles: les quatre premiers, Claude Giroux, Vincent Lecavalier, Patrice Bergeron et Martin St-Louis, sont francophones. Et si ce dernier a fait son apprentissage à l'Université du Vermont, les trois autres sont issus de la LHJMQ.

Sans oublier le gardien Roberto Luongo, des Canucks.

Alors, M.Courteau, vous êtes content?

À l'autre bout du fil, le commissaire du circuit junior s'autorise un petit rire. Ce fidèle soldat du hockey québécois est si habitué à commenter les mauvaises nouvelles que mon appel semble le surprendre!

Très content, répond-il. Tous ces gars-là sont des entraîneurs et des joueurs dominants dans la LNH. Alain Vigneault est revenu en force après son départ du Canadien. C'est extraordinaire ce qu'il accomplit à Vancouver, où la pression est forte. Claude Julien s'impose à Boston, une grande ville de sport. Et Guy Boucher a mis de la vie à Tampa Bay. Tout cela est phénoménal.

La réussite de nos entraîneurs et de nos joueurs est précieuse. Elle renforce l'image de marque du hockey québécois et ouvrira inévitablement la porte à de jeunes compatriotes porteurs du même rêve. Mais beaucoup de travail reste à accomplir.

***

Âgé de 36 ans, Dominic Ricard est le directeur général des Voltigeurs de Drummondville. C'est lui qui a eu la bonne idée d'embaucher Guy Boucher en 2006. S'il est fier des succès actuels, il souhaiterait que le Québec forme un plus grand nombre de joueurs de soutien, ceux qui occupent la majorité des emplois dans la LNH.

«Notre histoire est pleine de joueurs électrisants à l'attaque, rappelle-t-il. Nous avons toujours valorisé le talent offensif. Mais il faut aussi apprendre à souligner les mérites des gars qui s'impliquent défensivement. On doit modifier notre philosophie de développement.»

Dany Dubé, analyste des matchs du Canadien à la radio, va plus loin. Si le Québec veut augmenter sa représentation dans la Ligue nationale, la LHJMQ doit choisir une stratégie à contre-courant.

Son idée: s'inspirer de la culture dans le secteur de la haute technologie, axée sur une compétition féroce. Comment? D'abord, en réduisant le nombre d'équipes, afin de relever le niveau de jeu.

«Il faut rendre notre hockey junior plus sélectif, il faut l'épurer au niveau du talent, dit-il. Je comprends le désir légitime des propriétaires de rentabiliser leur investissement, mais l'approche est encore trop business. Les premiers clients doivent être les joueurs voulant apprendre leur métier, pas les spectateurs dans les gradins.

«On devrait leur offrir un environnement extrêmement stimulant, qui leur permettrait de développer au mieux leurs habiletés, en plus de renforcer leur caractère. Au point où les dirigeants de la LNH sauraient que les joueurs du Québec ont déjà connu l'adversité.»

***

Cette saison, 5 des 30 équipes de la LNH étaient dirigées par un entraîneur francophone. Mais une seule, le Canadien, comptait un DG québécois. Cette quasi-absence au sommet du pouvoir entraîne de lourdes conséquences. Le hockey demeure largement une affaire de contacts personnels.

Si les Québécois ne font pas partie de ce réseau informel, il sera toujours plus difficile pour nos représentants d'obtenir des postes de dépisteur, directeur du personnel des joueurs ou directeur général.

Les joueurs québécois auront d'autant moins de chances d'être repêchés, puisqu'ils seront moins connus des décideurs.

Dany Dubé, jamais à court d'idées audacieuses, estime que la LHJMQ porterait un grand coup si elle créait un fonds destiné à ses jeunes «hommes de hockey» prometteurs.

Le circuit Courteau pourrait ainsi verser, pendant deux ans, une partie du salaire de ceux qui souhaitent tenter leur chance comme dépisteurs dans la LNH, un métier à valoriser.

Plusieurs équipes américaines, toujours à la recherche d'économies, embaucheraient peut-être un plus grand nombre de Québécois si, par exemple, le quart de leur salaire était tiré de ce fonds. Notre relève pourrait ainsi diversifier ses expériences, améliorer ses contacts et augmenter ses chances de percer dans l'administration.

La vie est ironique. Avant les Jeux olympiques de Vancouver, le DG de l'équipe canadienne, Steve Yzerman, a été durement critiqué en raison du petit nombre de joueurs québécois retenus au sein de la formation. La conquête de la médaille d'or a mis fin aux critiques. Les gagnants ont toujours raison.

Quelques mois plus tard, Yzerman a pourtant confié à deux Québécois des postes importants. Il a fait de Julien Brisebois, jusque-là avec le Canadien, son principal adjoint; et de Guy Boucher, son entraîneur.

Résultat, en 2010-2011, personne n'a fait autant qu'Yzerman pour l'essor du hockey québécois. L'embauche de Brisebois est particulièrement significative. Le Canadien lui a donné sa première chance, mais son arrivée à Tampa Bay a décloisonné sa carrière.

Souhaitons maintenant que Brisebois devienne rapidement DG de sa propre équipe, ce qui constituerait un accomplissement de taille, aux répercussions significatives.

Alors, revenons à la question posée en début de chronique: les succès actuels du hockey québécois nous autorisent-ils à déboucher le champagne? Je réponds oui.

Mais à la lumière des défis qui nous attendent, je suggère de nous limiter à une seule coupe.