On oublie si vite. En 1999, lorsque Pierre Boivin est devenu président du Canadien, l'organisation était à la dérive.

Les Brasseries Molson, propriétaires de l'équipe, avaient conclu que le Centre Bell, avec ses 21200 sièges, était trop grand. Impossible, dans ces conditions, de créer un effet de rareté pour les billets.

Quant à l'image de marque de l'organisation, elle frôlait le désastre. Les congédiements de Serge Savard et de Jacques Demers, combinés au départ dans le dépit de Patrick Roy, n'étaient toujours pas, quatre ans plus tard, entièrement digérés. Ni sur la glace ni dans l'esprit du public.

En pénétrant dans son nouveau bureau, M.Boivin a vu les chiffres: depuis l'ouverture du Centre Bell, le nombre d'abonnements saisonniers avait chuté de 17 000 à 9600!

Le renouvellement des baux des loges corporatives, louées cinq ans plus tôt, s'annonçait catastrophique. Au bout du compte, le tiers d'entre elles seraient abandonnées par leurs occupants. «Trente-deux trous noirs!», se rappelle M.Boivin.

On oublie si vite. Mais à l'époque, le premier mandat de Pierre Boivin a été de remplir le Centre Bell.

«Alors on a consenti des rabais, ajoute-t-il. Si quelqu'un nolisait un autobus pour venir à un match, on accordait 40% d'escompte. Au moins, ils achèteraient un hot-dog et peut-être un souvenir! Aujourd'hui, c'est le contraire: si une entreprise veut 50 billets pour une rencontre, elle doit verser une prime!»

Hier matin, la société privée d'investissements Claridge, propriété de la famille Bronfman, a confirmé la nomination de Pierre Boivin au poste de président et chef de la direction.

On savait depuis l'été dernier que Geoff Molson succéderait à M.Boivin à titre de président du Canadien. Restait à savoir où ce dernier atterrirait. L'annonce d'hier met fin à son séjour à la barre de l'organisation. La transition désormais complétée, il quittera son poste mercredi prochain.

Après un été de repos, M.Boivin abordera son nouveau défi en septembre. Claridge n'a évidemment pas le retentissement public du Canadien. Mais au plan financier, l'entreprise est plus importante.

Ses participations dans de nombreuses compagnies, notamment dans les secteurs de l'alimentation et du divertissement, en font une société de portefeuille diversifiée. Par exemple, elle est engagée dans Spiderman, la comédie musicale la plus coûteuse de Broadway, remise à l'affiche cette semaine après plusieurs controverses.

En acceptant ce poste, M.Boivin montre son engagement envers le Québec. Il a décliné des offres qui l'auraient contraint à déménager. Mais ce n'est pas le plus significatif.

«Contrairement à l'Ontario, le Québec ne compte pas beaucoup de firmes d'investissement pour appuyer nos entrepreneurs, dit-il. Les capitaux disponibles ne sont pas suffisants. C'est à ce niveau que j'ai le goût de m'impliquer.»

Stephen Bronfman aime le sport, Pierre Boivin aussi. Il ne faudra pas s'étonner si la société Claridge investit dans ce secteur au cours des prochains mois.

Avant d'accéder à la présidence du Canadien, M.Boivin a dirigé le secteur hockey de Bauer-Nike et la société d'équipements de sport Ben Weider. Son expertise dans ce domaine est sans pareil.

Quant à Stephen Bronfman, il a investi dans les Expos, l'équipe fondée par son père, lors de la tentative de sauver le baseball majeur à Montréal au tournant des années 2000.

En 2001 et en 2009, il a voulu acheter le Canadien, sans succès. Sa soeur et son beau-frère, par le biais de la Société Andell, sont propriétaires du Fire de Chicago, de la Major League Soccer. Bref, le sport occupe une place importante dans la famille.

Cela dit, pas question pour Claridge d'investir dans Maple Leaf Sport & Entertainment, les propriétaires des Maple Leafs de Toronto et du Centre Air Canada, ni dans une éventuelle concession de la LNH à Québec. «Je ne me vois pas appuyer une autre équipe que le Canadien», dit M.Boivin, en riant.

Celui-ci demeurera au conseil d'administration du Canadien et du Centre Bell. À la demande de Geoff Molson, il restera président de la Fondation des Canadiens pour l'enfance.

La philanthropie occupera MM.Boivin et Bronfman. Ils ont d'ailleurs fait connaissance dans les années 90 au sein des Olympiques spéciaux, un mouvement d'appui aux athlètes avec une déficience intellectuelle.

L'automne dernier, M.Boivin a discuté avec Stephen Bronfman de son intérêt pour l'investissement privé. Ce fut le début de l'aventure.

On oublie si vite. En 1999, le Canadien, malgré ce Centre Bell presque neuf, devait être dépoussiéré. Aujourd'hui, l'organisation constitue un modèle de gestion dans le sport nord-américain et dans l'industrie du spectacle.

Pierre Boivin n'est pas le seul responsable de ce succès. Mais c'est lui qui a donné le ton, menant sa barque avec assurance même si l'organisation a été vendue à deux reprises durant son mandat. Il peut partir la tête haute, fier du travail accompli.