L'effet Phoenix. Voilà qui explique l'extraordinaire rebondissement survenu hier dans le dossier de la construction d'un nouvel amphithéâtre à Québec.

Lors d'un point de presse convoqué en fin d'après-midi, Régis Labeaume a demandé à l'Assemblée nationale d'examiner un projet de loi privé, proposé par la députée péquiste Agnès Maltais. Son unique article empêcherait toute contestation devant les tribunaux de l'entente intervenue entre la Ville de Québec et Quebecor Media concernant la gestion du nouveau Colisée.

L'objectif est simple: éliminer les menaces de Denis de Belleval, qui envisage de s'adresser à la Cour supérieure pour faire annuler cet accord. Ancien ministre des Transports et ancien directeur général de la Ville de Québec, M. de Belleval mène depuis plusieurs semaines une charge tous azimuts contre le retour d'une équipe de la Ligue nationale à Québec.

Son opposition n'est pas seulement économique, mais aussi philosophique. Voici ce qu'il écrivait dans Le Soleil le 12 février dernier: «Les sommes consacrées à regarder s'entretuer des gladiateurs millionnaires seront soustraites de celles consacrées au soutien de notre vie sportive et culturelle propre».

M. de Belleval dénonce aussi l'entente entre la Ville et Quebecor Media. Il estime que le processus a manqué de transparence, notamment en raison de l'absence d'appel d'offres. Il ajoute, après étude, que cet accord conduira à une hausse appréciable des impôts fonciers des contribuables de Québec.

Lorsque je lui ai parlé en début de soirée hier, M. de Belleval était sous le choc. Jamais il n'aurait pensé que sa participation légitime au débat public serait menacée d'un bâillon, une mesure exceptionnelle en démocratie.

«Je me sens comme si un bulldozer venait de me passer sur le corps. C'est un comportement hystérique. Le seul fait de penser à une manoeuvre pareille est renversant. Le parlement veut écraser un citoyen. Tout le monde a perdu les pédales».

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Comment expliquer cette incroyable passe d'armes entre la Ville de Québec et M. de Belleval? Dans une déclaration à la Presse canadienne, M. Labeaume n'en a pas fait mystère.

«On ne pourra pas conclure avec notre partenaire (Quebecor) s'il y a des menaces de contestation judiciaire et finalement, il faut absolument, absolument, sécuriser la Ligue nationale de hockey par rapport à tout ça. Gary Bettman a un réseau d'information extraordinaire et il sait tout ce qui se passe ici.»

Par courriel, j'ai demandé au porte-parole de Quebecor si l'adoption de ce projet de loi constituait une condition essentielle à la signature définitive de son contrat avec la Ville de Québec. Au moment d'écrire ces lignes, aucune réponse ne m'était parvenue. Mais les propos du maire Labeaume semblent clairs à ce sujet.

D'autre part, il est certain que les événements survenus à Phoenix au cours des cinq derniers mois expliquent en grande partie le rebondissement d'hier.

Je rappelle les faits: dans l'espoir d'assurer la survie des Coyotes, la Ville de Glendale - où se situe l'amphithéâtre de l'équipe -, a conclu une entente avec la LNH et l'homme d'affaires Mathhew Hulsizer en décembre dernier. L'accord prévoyait que la Ville verserait 100 millions à M. Hulsizer afin de financer l'achat de l'équipe. La Ville comptait réunir cette somme par une émission d'obligations.

Mais l'Institut Goldwater, un groupe de défense des contribuables, a menacé de poursuivre la Ville en justice si ce plan allait de l'avant. Selon sa présidente, Darcy Olsen, l'entente constituait un «cadeau» à M. Hulsizer, une pratique interdite selon la constitution de l'État.

L'incertitude ainsi créée a torpillé le projet. Aujourd'hui encore, on ignore ce qui adviendra des Coyotes à moyen terme. On sait qu'ils resteront à Glendale la saison prochaine puisque la Ville comblera pour une deuxième année consécutive les pertes de l'équipe, une facture de 50 millions en 24 mois.

Le dossier des Coyotes constitue un cauchemar pour Gary Bettman. Il craint sûrement que Denis de Belleval ne devienne la Darcy Olsen de Québec.

Tant que cette perspective planera, la Vieille Capitale n'obtiendra pas d'équipe. Jamais la LNH n'acceptera de revivre à Québec un épisode semblable à celui de Phoenix. Voilà pourquoi M. Labeaume, qui l'a bien compris, veut stopper M. de Belleval ou tout autre opposant au projet. «Notre projet ne doit présenter aucune incertitude», a affirmé le maire.

Celui-ci envie sûrement la ville de Winnipeg, officiellement en discussions avec les propriétaires des Thrashers d'Atlanta, afin de les transférer au Manitoba.

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Certains délais parlementaires étant expirés, tous les députés de l'Assemblée nationale devront donner leur accord pour que le projet de loi soit examiné avant la relâche estivale.

Les chances que cela se produise semblent, à première vue, minces. Le député de Mercier, Amir Khadir, détient en quelque sorte un droit de veto et hésitera avant de donner son accord.

Lors de la signature de l'entente entre la Ville et Quebecor Media, M. Khadir avait été cinglant, qualifiant les termes de «risibles» et estimant que les contribuables étaient «les dindons de la farce».

Hier, Christian Dubois, son attaché de presse, m'a expliqué que M. Khadir n'était pas «fermé» au projet, mais que la pente serait «abrupte» pour le convaincre de donner son accord. «On jugera en fonction de l'intérêt public», a-t-il expliqué.

Si M. Khadir ou un autre député inscrivent leur dissidence, le projet de loi ne pourra être étudié avant l'automne. Comment le maire Labeaume et Quebecor Media réagiraient-ils à ce délai? Chose sûre, Gary Bettman et la LNH n'y verraient rien de bon.