La conversation dure depuis une bonne quinzaine de minutes lorsque Louis Borfiga lance sa prédiction: «Je vois Milos Raonic remporter un tournoi du Grand Chelem. Je suis clair, net et précis là-dessus. Il en gagnera un dans quatre ou cinq ans. Il n'à qu'à continuer comme maintenant. Ni plus, ni moins. Il est vraiment fort.»

Les yeux perçants et le regard parfois malicieux, Borfiga est le grand patron du développement de l'élite au Canada. Les entraîneurs nationaux, comme Sylvain Bruneau, Jocelyn Robichaud et plusieurs autres, se rapportent à lui. C'est en partie grâce à sa vision que Montréal héberge aujourd'hui le Centre national d'entraînement au parc Jarry.

Borfiga, Monégasque d'origine, a quitté la France pour le Canada en 2006 après avoir contribué à l'émergence de joueurs de premier plan comme Jo-Wilfried Tsonga et Gaël Monfils chez les juniors. Ancien partenaire d'entraînement du légendaire Bjorn Borg, sa connaissance du tennis est unique. Âgé de 56 ans, il n'est pas homme à faire des prédictions à la légère. Sa confiance en Raonic illustre l'immense potentiel du jeune Ontarien, appelé à redéfinir le tennis canadien.

«Milos Raonic n'est pas seulement un excellent serveur, ajoute Borfiga. Son coup droit est énorme. Il possède aussi les qualités mentales nécessaires, notamment l'ambition. Pour un gars de 20 ans, il est très impressionnant. Tu sais, aucun jeune n'est aussi bien classé que lui au sein de l'ATP.»

Raonic, hélas, est le grand absent de la Coupe Rogers cette semaine. Une blessure à la hanche survenue au deuxième tour du tournoi de Wimbledon a nécessité une opération. Avec un peu de chance, il retournera sur les courts à l'Omnium des États-Unis.

Cette semaine, Raonic a fait un tour au stade Uniprix. Avant d'amorcer la vie de globe-trotter des joueurs professionnels, il est demeuré trois années à Montréal. La famille l'ayant accueilli réside à l'ombre du parc Jarry. Plongé dans la réalité montréalaise, il a vite appris le français.

«Le tennis mondial compte actuellement quatre grands espoirs, ajoute Borfiga. En plus de Milos, on retrouve l'Américain Ryan Harrison, le Bulgare Grigor Dimitrov et l'Australien Bernard Tomic. À la télévision l'autre jour, on a demandé à Patrick McEnroe lequel avait le plus de chances de remporter un tournoi du Grand chelem. Et il a répondu Milos Raonic...

«Moi, je l'ai vu une première fois en 2006, à mon arrivée au Canada. Il ne jouait pas mal, mais des garçons comme lui, en France, il y en avait 15! On lui a proposé de venir au Centre national d'entraînement et je pense qu'on a bien contribué à sa progression. Mais il faut être honnête: il nous a surpris, on ne croyait pas que ça irait aussi vite. On pensait qu'il débloquerait vers 23 ans.»

L'émergence de Raonic n'aurait pas été si spectaculaire sans le coup de barre donné par Tennis Canada dans le développement de l'élite.

La mise sur pied du Centre national d'entraînement en 2007 a constitué la pierre angulaire du projet. Du coup, les meilleurs espoirs canadiens se sont regroupés à Montréal, un prérequis pour favoriser l'émulation. L'ajout de quatre terrains en terre battue, inaugurés cette année, a complété l'opération.

Louis Borfiga ne s'en cache pas. Ce qu'il a voulu implanter au Canada, c'est le modèle français. «En tennis, les structures françaises font autorité, dit-il. Et si la France n'avait pas ce système, elle serait du niveau de l'Angleterre, qui a plein d'argent mais pas de joueurs...»

Dans l'esprit de Borfiga, le Canada possède désormais tous les atouts pour développer son élite. «Avec un Centre national d'entraînement et des terrains en terre battue, on a tout ce qu'il faut. Un joueur qui s'entraîne ici n'a pas à se plaindre!»

La mentalité des espoirs canadiens a aussi changé. «Lorsque je suis arrivé, j'ai constaté que les joueurs ne croyaient pas assez en eux, ajoute Borfiga. Ils jouaient pour jouer, pas pour gagner. Moi, je m'en fous de jouer! Il faut gagner. Là-dessus, on a beaucoup évolué. Tu as vu Pospisil contre Federer cette semaine? Il a joué pour gagner.

«Lorsqu'on compte sur des compétiteurs, il faut réveiller la flamme. C'est un travail de tous les jours avec les entraîneurs. Il n'y a pas de recette miracle. Pourquoi un Canadien serait moins compétiteur qu'un Italien ou un Français?»

****

Au-delà des éliminations rapides de Rafael Nadal, Roger Federer et Andy Murray, l'absence de Milos Raonic aura constitué la plus grande déception des derniers jours. Il aurait été emballant de le voir fouler le court central du stade Uniprix. Malheureusement, il faudra attendre le mois d'août 2013 pour savourer cet instant.

N'en reste pas moins que les succès de Raonic démontrent que Tennis Canada a visé juste en investissant dans la création du Centre national d'entraînement à Montréal. L'avenir du tennis canadien passe désormais par le Québec.