C'était en février, dans une salle de réunion de La Presse. Alex Baumann, grand nageur olympique devenu chef du programme «À nous le podium», expliquait ses plans de développement de nos athlètes d'élite. À l'évidence, le sport canadien comptait sur un dirigeant d'exception: propos étoffés, élocution claire et analyse rigoureuse des enjeux.

Qui aurait cru, en l'observant si concentré et maître de ses dossiers, qu'il avait reçu une terrible nouvelle un mois plus tôt? Une nouvelle qu'il n'avait confiée qu'à ses proches. Âgé de 46 ans, Alex Baumann, double médaillé d'or des Jeux de Los Angeles, souffrait du cancer de la prostate. Une intervention chirurgicale majeure était nécessaire pour empêcher la propagation de la maladie.

- Comment as-tu fait, Alex, pour nous parler de sport si librement ce jour-là? Tu devais pourtant être rongé par l'inquiétude...

À l'autre bout du fil, Baumann lâche un soupir. «Ça n'a pas été facile. Mais j'ai vite constaté que le travail me distrayait. Je voulais demeurer actif en attendant l'opération. J'ai aussi entretenu ma forme en nageant plusieurs fois par semaine. Tu sais, tous ces événements ont été encore plus difficiles pour ma famille. La bonne nouvelle, c'est que mon cancer a été diagnostiqué rapidement.»

Le 26 avril, Baumann a été opéré par le docteur Kevin Zorn, expert dans l'utilisation des hautes technologies, à l'Hôpital du Sacré-Coeur de Montréal. Deux semaines plus tard, rassuré sur son état de santé, il a révélé cet épisode angoissant. Une onde de choc a parcouru le Canada.

«J'ai été surpris par l'ampleur des réactions, dit-il. Mais si mon histoire a convaincu un seul homme de subir un test de dépistage, cela en aura valu la peine.»

En 1999, Baumann avait vaincu un cancer des testicules. Ce deuxième combat en 12 ans avec la maladie a provoqué une profonde réflexion au sein de sa famille. Marié à une Australienne et père de deux enfants, eux-mêmes des nageurs prometteurs, Alex ne compte pas de parenté au Canada.

«La famille de mon épouse Tracy vit à Brisbane, en Australie, poursuit-il. Nous les avons visités au mois d'août. Ce fut l'occasion de faire beaucoup d'introspection. Et puis, une offre inattendue s'est présentée. On m'a offert la direction de l'Institut des Sports de haute performance de Nouvelle-Zélande...»

La semaine dernière, Baumann a accepté cette proposition. Dans un texte rédigé à cette occasion, il a écrit: «C'est face aux plus grands défis de la vie que nous nous tournons vers la famille pour nous appuyer sur l'amour et le soutien qu'eux seuls sauraient fournir. Ce soutien manquait à ma femme et à mes enfants, et la tyrannie de la distance commençait à peser sur nous.»

Un autre facteur a pesé dans sa décision. À Ottawa, l'entraîneur de natation de son fils a démissionné. Ashton Baumann a alors examiné la possibilité de joindre un club australien, notamment afin d'éviter notre rude hiver qui lui cause des problèmes de santé récurrents. Soudain, pour Alex et Tracy Baumann, le choix est apparu clair: la famille s'établirait en Nouvelle-Zélande.

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Le programme «À nous le podium» a transformé le sport d'élite canadien. Baumann a joué un rôle significatif dans cette évolution. Ses lettres de créance et sa forte personnalité lui ont permis d'implanter ses théories. Les succès de nos athlètes aux Jeux de Vancouver ont validé ses choix.

«Aujourd'hui, le défi est de ne pas verser dans la complaisance, dit-il. C'est toujours difficile pour un pays qui vient d'accueillir les Jeux. Notre culture du sport de haute performance a cependant changé. Nous valorisons l'excellence et acceptons l'imputabilité. C'est un peu comme dans le monde des affaires, où la performance fait foi de tout.

«C'est un changement important puisque notre société croit en l'égalité des chances. Mais il n'y a rien d'égalitaire dans la haute performance. Il faut donc aller à contre-courant de certaines valeurs.»

Un mandat de taille attend le successeur de Baumann. Parmi les candidats, on retrouve ses deux principaux adjoints: l'ex-skieur Ken Read, responsable des sports d'hiver, et Anne Merklinger, sportive accomplie (natation, curling) ayant fait sa marque comme directrice de Canoë-Kayak Canada.

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L'exil de Baumann ne constitue pas le seul bouleversement. Jean Dupré, chef de la direction du Comité olympique canadien (COC) depuis avril 2010, a démissionné le 31 août dernier, invoquant des «raisons personnelles».

M. Dupré refuse d'en dire plus long, mais assure qu'aucun conflit n'est à l'origine de sa décision. «J'habite Montréal, je travaillais à Toronto, ce n'était pas facile...»

Jean Gosselin, responsable des communications, réorientera aussi sa carrière.

À moins d'un an des Jeux de Londres, cela fait beaucoup de changements. Le nouveau président du COC, Marcel Aubut, rebâtit l'organisation, désormais divisée en trois secteurs-clés: sport, marketing et administration.

Le nouveau chef de la direction du COC est Chris Overholt, un Canadien unilingue anglophone ayant occupé des postes de vice-président avec les Dolphins de Miami, les Panthers de la Floride et Maple Leaf Sports&Entertainment.

L'élection de Marcel Aubut à la tête du COC a suscité de grands espoirs sur la représentation francophone parmi les dirigeants du sport d'élite canadien. À ce chapitre, le départ de M. Dupré constitue un recul. On surveillera avec attention la suite des choses.

Photo: Alain Roberge, archives La Presse

Jean Dupré (au centre), chef de la direction du Comité olympique canadien, et Alex Baumann (à droite), chef de la direction d'«À nous le podium», ont laissé leur poste au cours des dernières semaines.