Régis Labeaume était un homme soulagé hier. Vêtu d'une chemise à col ouvert, un sourire de satisfaction au visage, on le sentait libéré de la pression causée par l'incertitude des derniers mois.

«Dans la rue, lorsqu'une personne me disait "Lâchez pas!", ça voulait aussi dire "Livrez"... C'est beaucoup de stress qu'on gère», a dit le maire de Québec, peu après le vote de l'Assemblée nationale en faveur du projet de loi 204. L'entente entre la Ville de Québec et Quebecor Media bétonnée, le chantier du nouvel amphithéâtre pourrait ouvrir dès l'automne 2012.

C'est désormais sur les épaules de Pierre Karl Péladeau que reposent les espoirs des partisans des Nordiques. Bien sûr, parce qu'il n'habite pas Québec, le président de Quebecor Media ne ressentira jamais aussi vivement que M. Labeaume les attentes des citoyens de la Vieille Capitale.

Visiter une ville, même régulièrement, ce n'est pas y vivre. C'est peut-être pourquoi M. Labeaume a envoyé un message direct à son nouveau partenaire: «À partir de maintenant, M. Péladeau peut se permettre d'appeler le commissaire Bettman. Et s'il ne se souvient pas de son numéro de téléphone, moi, je l'ai...»

Jusqu'à hier, M. Péladeau incarnait les rêves des gens de Québec, souhaitant voir leur ville réintégrer la LNH.

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Si le projet de nouvel amphithéâtre avait achoppé, personne ne lui en aurait voulu, bien au contraire. Tous auraient salué ses propositions. Le blâme aurait rejailli sur d'autres, comme Denis de Belleval, Amir Khadir ou même Jean Charest.

Aujourd'hui, le contexte n'est plus le même. M. Péladeau doit transformer ce rêve en réalité. Comme un politicien se retrouvant à la tête d'un gros ministère au lendemain d'élections.

Hier, après l'appui convaincant de 98 députés au projet de loi 204, les radios de Québec discutaient déjà des chances d'obtenir une équipe avant l'ouverture du nouvel amphithéâtre, en septembre 2015.

Les espoirs sont énormes.

Si le projet semble sur les rails, M. Labeaume a néanmoins rappelé la date du 31 mars prochain. Une estimation plus précise des coûts sera dévoilée, prélude à la décision finale de foncer. Compte tenu de la générosité du budget (400 millions), les enveloppes devraient être respectées.

Une deuxième date, non inscrite au contrat, risque d'être plus déterminante: celle du renouvellement de la convention collective de la LNH.

Le contrat de travail actuel expirera le 15 septembre 2012. Dans une entrevue à Yahoo! Sports, Donald Fehr, directeur de l'Association des joueurs, a déjà annoncé ses couleurs: «Les joueurs ont fait beaucoup de concessions dans la dernière entente. C'est difficile de les imaginer accepter ça une deuxième fois.»

Les coûts d'exploitation d'une équipe de la LNH, en hausse fulgurante depuis 2005, ne diminueront pas. Cette saison, chaque équipe doit verser un minimum de 48,3 millions en salaires. C'est 25 millions de plus qu'il y a sept ans! Le plafond est de 64,3 millions. Cela compliquera la tâche de Québec, surtout devant son rival montréalais, toujours prêt à dépenser le maximum autorisé.

Cela dit, si Quebecor Media veut plonger dans l'aventure de la LNH, c'est parce qu'elle a les moyens de ses ambitions. En mars dernier, en annonçant son entente avec la Ville de Québec, M. Péladeau avait évoqué ses concurrents «aux poches profondes». Il aurait pu ajouter que celles de son entreprise le sont aussi.

Quebecor Media est un géant des communications au Canada, doté d'une formidable machine de convergence: journaux, télé, magazines, câblodistribution, web... Cela représente un atout aux yeux de Gary Bettman.

En revanche, celui-ci n'a pas oublié la contestation, par Quebecor Media, de l'exclusivité accordée à RDS pour la diffusion des matchs du Canadien. Le commissaire n'a pas apprécié ce geste, la LNH étant partie à ce contrat.

Malgré tout, M. Péladeau détient de solides cartes dans son jeu. Ses chances de ramener une équipe de la LNH à Québec, au plus tard en septembre 2015, sont excellentes.

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Le débat sur le projet de loi 204 est enfin terminé dans l'arène politique. Les dommages collatéraux sont nombreux. Régis Labeaume l'a reconnu en racontant son appel de remerciement à Pauline Marois après le vote d'hier.

«Je lui ai dit que j'étais désolé pour tous les pépins que le dossier a créés, pépins étant un euphémisme...»

Le dossier de l'amphithéâtre a déclenché une rupture au sein du Parti québécois et modifié notre échiquier politique. Cela n'a en rien modéré le discours de la députée Agnès Maltais, qui a défendu le projet de loi 204 jusqu'au bout, citant même René Lévesque pour appuyer son propos.

Si Mme Maltais avait fait un minimum de recherche, elle aurait constaté la vive réticence de M. Lévesque, alors premier ministre du Québec, à appuyer l'agrandissement du Colisée actuel en 1979.

Il avait fallu toute la force de conviction de son ancien patron, Jean Lesage, pour lui soutirer 5 millions. M. Lesage était membre du conseil d'administration de Carling-O'Keefe, propriétaire des Nordiques.

Dans un livre bien documenté, le défunt journaliste Claude Larochelle raconte combien M. Lévesque craignait que les impôts des contribuables ne servent à enrichir une entreprise déjà très riche. «C'est de l'argent pour votre grosse multinationale que vous voulez là», avait lancé M. Lévesque, avant d'adoucir sa position.

N'en déplaise à Mme Maltais, pas sûr que René Lévesque serait monté au créneau pour défendre le projet de loi 204.

Photo: Steve Deschênes, Le Soleil

Régis Labeaume est maintenant libéré de la pression causée par l'incertitude des derniers mois concernant le nouveau Colisée.