Les années 1970 ont marqué l'histoire du hockey. Trois équipes ont laissé leur empreinte sur cette décennie de grands bouleversements. La première fut l'équipe nationale de l'URSS, dont le jeu collecti f a ébranlé nos convictions durant la Série du siècle. Le Canada a remporté l'affrontement, mais les Kharlamov, Petrov et Yakushev nous ont appris que le hockey pouvait être pratiqué autrement.

La deuxième fut le Canadien. Au moment où les Flyers de Philadelphie terrorisaient leurs adversaires avec une collection de brutes, remportant deux fois la Coupe Stanley, les Glorieux se sont interposés. Les «Flying Frenchmen» ont rabroué les «Broad Street Bullies» et sauvé le hockey. La vitesse et la créativité ont eu raison de l'intimidation. La troisième équipe, ce sont les Jets de Winnipeg. Eh oui, ces Jets qui feront un retou r da ns la LNH dimanche, en recevant le Canadien!

Parce qu'ils sont établis dans une humble ville des Prairies où la LNH ne souhaitait guère retourner, parce que leur impact médiatique est modeste et parce qu'on oublie trop vite le passé, les Jets ne profitent pas de la reconna issance qu' i ls méritent. Leur impact dans l'évolution du hockey est pourtant indiscutable. Les Jets ont été au coeur de deux révolutions : la création de l'Association mondiale de hockey (AMH) et l'ouverture aux joueurs européens.

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À l'autre bout du fil, Jacques Demers ne fait pas de mystère. «Sans Bobby Hull, je n'aurais pas gagné la Coupe Stanley avec le Canadien en 1993.» Comme des dizaines d'autres joueurs et entraîneurs, Demers a percé le monde fermé du hockey professionnel grâce à l'AMH. À sa propre surprise, il s'est retrouvé entraîneur adjoint des Cougars de Chicago en 1972, première année du circuit.

Cette chance a donné un envol à la carrière de Demers. Et l'a conduit à des réussites dont il n'osait rêver en grandissant. Or, si Bobby Hull n'avait pas signé quelques mois plus tôt un contrat avec les Jets de Winnipeg, l'AMH n'aurait jamais vu le jour. En quittant les Blackhawks pour plonger dans cette folle aventure, le «Golden Jet» a provoqué un tremblement de terre. D'autres joueurs ont suivi son exemple. Pour la première fois, le monopole de la LNH, qui permettait aux équipes de verser des salaires de misère à ses joueurs, était brisé. L'impact fut immédiat.

Des joueurs payés 25 000 $ par saison s'en firent proposer le double, le triple et le quadruple pour demeurer dans la LNH. Tout cela parce que le proprio des Jets, le légendaire Ben Hatskin, avait, de concert avec ses partena ires de l'AMH , convaincu Hull de s'établir au Manitoba. «Nous savions tous à quel point nous étions redevables à Bobby Hull», ajoute Demers. Qui aurait pensé, un an plus tôt, que l'arrogante Ligue nationale, dirigée d'une main de fer par un Clarence Campbell tout puissant, serait lézardée jusqu'à ses fondations par le coup de génie de Winnipeg?

Hull fit de son mieux avec sa nouvelle équipe. Mais les Jets n'étaient pas très forts. Après deux saisons, son moral était touché. C'est alors que Winnipeg a accompli un deuxième miracle. Cette fois, c'est un jeune médecin fou de hockey qui a donné l'impulsion.

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Adolescent, Jerry Wilson était considéré comme un brillant espoir professionnel. Mais une blessure à un genou a mis fin à sa carrière. Il est devenu chirurgien et a reçu une bourse pour participer à un projet de recherche en Suède. À Stockholm, un de ses jeunesassistants était un joueur prometteur: Anders Hedberg.

La suite des événements est fascinante. Wilson comptait des amis dans l'organisation des Jets, explique le journaliste Ed Willes dans The Rebel League, son livre sur l'histoire de l'AMH. Ceux-ci lui ont demandé de garder l'oeil ouvert: si jamais il repérait de bons joueurs

«Le bon docteur a vite compris que l'écart entre le hockey nord-américain et européen n'était pas aussi grand que plusieurs le pensaient, écrit Willes. Les meilleurs joueurs suédois pourraient non seulement survivre, mais exceller dans la LNH ou l'AMH.»

En compagnie du centre Ulf Nilsson et du défenseur Lars-Erik Sjoberg, Hedberg acceptal'offre des Jets. Les trois Suédois auraient aimé jouer dans la LNH, mais croyaient préférable de monter au front dans la même équipe. À la fin de l'été 1974, Hull a patiné pour la première fois avec Hedberg et Nilsson. Il fut conquis. Ce trio est devenu un des meilleurs et des plus spectaculaires de toute l'histoire du hockey.

«À cette époque, les Jets auraient été une très bonne équipe dans la LNH, ajoute Demers. Ils alignaient des joueurs exceptionnels. Ils n'auraient pas gagné la Coupe Stanley, mais se seraient bien tirés d'affaire.»

Hedberg et Nilsson ont été victimes de terribles assauts dans l'AMH, une ligue où les taupins étaient nombreux. Willes rappelle un commentaire de Hull après un match violent, durant lequel Nilsson avait obtenu cinq mentions d'aide. «Il ressemblait à du steak haché».

Les deux Suédois ont changé la perception des joueurs européens. Leurs succès ont ouvert les portes de l'Amérique à des dizaines de leurs compatriotes. Tout cela grâce au flair de Winnipeg. Dimanche, lorsque la rondelle sera mise au jeu, rappelons-nous, comme Jacques Demers, que le CH ne sera pas la seule des deux équipes à avoir contribué à l'histoire du hockey. Les Jets ont aussi fait leur marque. On est contents de les revoir.