Fallait s'en douter. Les dinosaures ne baisseront pas les bras sans rugir. Ils n'accepteront pas un changement de culture si radical sans un ultime baroud d'honneur.

Dans la défense de leur conception du hockey, ils ne s'embarrasseront pas des notions éthiques, médicales, financières et légales qui convergent dans le même sens, celui d'une rupture nette avec le passé.

Jusqu'à maintenant, ils exprimaient surtout leur colère sous le couvert de l'anonymat. Mais voilà qu'un analyste se fait leur messager. Ce n'est peut-être pas celui qu'ils espéraient, mais pour l'instant, il fera l'affaire. Son manque de subtilité, Don Cherry le compense en hargne et, admettons-le, en popularité.

Voici donc ce cher M. Cherry, à qui CBC-Radio-Canada ouvre généreusement ses ondes depuis tant d'années, qui dénonce Brendan Shanahan, le nouveau préfet de discipline de la LNH.

Devinant que le tapis se dérobait sous ses pieds, Cherry a contre-attaqué dès le premier match diffusé à CBC, jeudi dernier. Sa sortie sur cette «nouvelle Ligue nationale», dans un langage parfois ordurier, était digne d'une radio-poubelle.

Le ton de Cherry était de mauvais goût. Comment le réseau anglais de Radio-Canada peut-il tolérer les charges de Cherry devant des milliers de téléspectateurs, pendant que le réseau français suspend le contrat de l'animateur Jacques Languirand en raison de propos déplacés, non pas durant une émission, mais plutôt lors d'une conférence de presse? Il s'agit pourtant de la même société d'État.

Comprenez-moi bien. Cherry a droit à ses opinions. Mais CBC réagirait plus vivement si l'un de ses commentateurs politiques utilisait les mots employés par Cherry, jeudi, à l'endroit de trois anciens bagarreurs qui ont eu le malheur de s'interroger sur les effets de la violence au hockey.

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Brendan Shanahan s'est fait beaucoup d'ennemis dans un court laps de temps.

L'agent Allan Walsh, un avocat qui propose souvent un éclairage rafraîchissant sur le hockey, a dénoncé la suspension de deux matchs à l'endroit de son client Pierre-Marc Bouchard. Il a associé le processus à un «kangaroo court», un tribunal où les règles de justice naturelle ne sont pas respectées.

D'autre part, les directeurs généraux d'une poignée d'équipes se seraient plaints à Gary Bettman et à son adjoint, Bill Daly, de la sévérité des suspensions imposées par Shanahan. C'est ce qu'a affirmé le journaliste Eric Francis, à Hockey Night in Canada, samedi.

Même si Daly a démenti cette information dans une entrevue au Los Angeles Times lundi, l'autorité de Shanahan ne fait pas l'unanimité.

Ses décisions suscitent des antagonismes profonds. Non seulement sanctionne-t-il durement les coups à la tête, mais il s'interroge publiquement sur la place des bagarres au sein du circuit.

Malgré son départ canon, Shanahan n'a pas encore gagné la partie. Et sans l'appui public de son patron, Gary Bettman, il ne pourra tenir seul le fort.

Beaucoup de gens dans le hockey pensent comme Don Cherry. L'absence prolongée de Sidney Crosby, les interrogations suscitées par la mort de trois durs à cuire cet été, tout cela ne remet pas en cause leurs convictions. Leur résistance au changement, déjà profonde, pourrait devenir féroce.

Le prochain mois sera déterminant dans la LNH. Et Shanahan n'est pas celui qui décidera de la direction finale du circuit. Ce sera Bettman. D'où la question, toute simple: appuiera-t-il Shanahan?

Le commissaire profite d'une chance exceptionnelle de passer à l'histoire. Le moment est venu pour lui de faire une déclaration publique, dans laquelle il donnerait un signal fort en appui à son vice-président.

Bettman devrait dire haut et fort que la LNH a évolué, qu'elle a pris conscience des dangers causés par les coups à la tête et qu'elle veut prévenir les lésions au cerveau.

Et comme l'écrivait Ken Dryden dans un texte publié récemment dans La Presse, Bettman devrait reconnaître que les bagarres sont d'abord et avant tout une série de coups où la tête est visée. Et que, pour cette raison, la LNH envisage de les interdire.

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En annonçant publiquement ses décisions dans des vidéos disponibles sur le web, Shanahan a eu un flash de génie. La Ligue de hockey junior majeure du Québec a annoncé son intention d'adopter l'initiative. La transparence s'imposant comme une valeur-clé de notre société, il faut en féliciter le commissaire Gilles Courteau.

Gary Bettman devrait s'inspirer de ce modèle et s'adresser directement aux dirigeants, aux joueurs et aux amateurs.

Il devrait enregistrer une vidéo dans laquelle il rappellerait le désir de la LNH de renforcer les sanctions, conformément aux décisions prises par le circuit en juin dernier.

Et il devrait clairement réitérer son soutien à Shanahan, afin de briser dans l'oeuf le mouvement de résistance.

Si Bettman n'agit pas, s'il laisse planer une once d'incertitude sur sa propre opinion, s'il permet à Bill Daly de s'exprimer à sa place, Shanahan aura de la difficulté à résister à la pression. Les conséquences seraient douloureuses, car ce ne sont pas seulement les bagarreurs qui souffrent de lésions au cerveau causées par les coups à la tête.

La semaine dernière, l'Université de Boston a révélé que Richard Martin souffrait d'encéphalopathie traumatique chronique, une maladie dégénérative, au moment de sa mort par infarctus, en mars dernier.

Contrairement aux deux autres cas répertoriés, ceux de Bob Probert et Reggie Fleming, Martin n'était pas un bagarreur.

Cette nouvelle doit faire réfléchir tous ceux qui s'intéressent au hockey. Même Don Cherry.