À vue de nez, ça commence à ressembler à octobre 1995. Même les déclarations du coach sont pareilles.

«J'ai vu de bonnes choses, on a créé des chances de marquer», disait Jacques Martin, après l'échec du Canadien, lundi.

«J'ai vu de bonnes choses, on a créé des chances de marquer», disait Jacques Demers, il y a 16 ans, après un lessivage en règle de son équipe. Dix jours plus tard, coup de tonnerre: Demers et le DG Serge Savard étaient congédiés, victimes de l'affreux début de saison du Canadien.

Ce scénario se reproduira-t-il en 2011? Rien n'est impossible, surtout si les joueurs abandonnent. Cela dit, malgré les similitudes entre les deux situations, le contexte n'est pas le même.

En octobre 1995, la pression était forte sur le Canadien. Dans cinq mois à peine, l'équipe quitterait le Forum pour le Centre Molson, comme on appelait alors le Centre Bell. Le président, Ronald Corey, devait remplir 21 000 sièges dans le nouvel édifice, en plus de souligner avec éclat la fermeture d'un endroit mythique et l'ouverture d'un nouveau temple.

Cette opération constituait le haut fait de son règne à la tête du Canadien, la concrétisation de plusieurs années de labeur. Une équipe perdante, larguée de la course aux séries éliminatoires, ne représentait pas la toile de fond idéale pour célébrer l'occasion et la transformer en succès financier. Troublé par l'impatience du public, Corey a donné un coup de balai impulsif, dont l'organisation a mis des années à se remettre.

Au bout du compte, c'est la pression qui a fait réagir Corey. Comme c'est la pression qui l'avait mené, moins d'un an après son entrée en poste, à congédier le DG Irving Grundman et l'entraîneur Bob Berry au printemps 1983.1

Cette fois, la pression venait de Québec. Les Nordiques incarnaient la nouvelle image du hockey. Les flamboyants frères Stastny leur conféraient une saveur européenne.

Avec leur gilet tapissé de fleurs de lys et une direction francophone, la cote de popularité des Bleus grimpait en flèche au Québec, une excellente nouvelle pour la Brasserie O'Keefe, propriétaire de l'équipe, et une très mauvaise nouvelle pour la Brasserie Molson, proprio du Canadien.

Corey l'a vite compris. Sa décision de nommer Serge Savard DG fut le plus brillant coup de sa carrière. Du coup, les Nordiques perdaient le monopole du fait français, le Canadien mettait la main sur un gestionnaire de talent et la Brasserie Molson reprenait son souffle.

Conclusion: en 1983 et en 1995, les changements à la direction du Canadien n'ont pas été la seule conséquence du rendement anémique sur la patinoire. D'autres facteurs, d'ordre économique, ont contribué à ces bouleversements. Comme en novembre 2000, lorsque le président Pierre Boivin a sacrifié le DG Réjean Houle et l'entraîneur Alain VIgneault. L'équipe n'allait nulle part, certes. Mais le chiffre d'abonnements saisonniers avait chuté de 17000 à 9600 et le renouvellement des baux des loges corporatives étaiet catastrophique.

Dans tous ces cas, la pression était exceptionnelle et le Canadien devait réagir.

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En 2011, quelle est la pression réelle sur le Canadien?

Oui, l'équipe est scrutée à la loupe; oui, ses péripéties alimentent les médias; oui, ses insuccès choquent ses partisans. Mais il s'agit là d'une pression normale, celle de toutes les équipes super populaires dans leur marché, comme les Cowboys de Dallas ou les Red Sox de Boston.

À Montréal et au Québec, le Canadien constitue un monopole dans le sport professionnel majeur. Ses deux véritables concurrents, les Expos et les Nordiques, ont disparu.

Les Alouettes et l'Impact sont des p'tits frères sympathiques, qui ne lui chiperont ni sa notoriété, ni ses lucratives commandites corporatives.

Le succès marketing du Canadien est tel qu'une longue liste d'attente existe pour les abonnements saisonniers. L'organisation envisage déjà avec gourmandise le renouvellement de son contrat de télévision en 2014 et rêve de tirer de gros revenus de l'univers multimédia.

Bref, pour le Canadien, l'urgence n'a aucune commune mesure avec celle de 1983 ou 1995. Le public du Centre Bell ne sonne pas davantage de cloches d'alarme. Lundi, par exemple, quelques huées ont filtré à la fin du match. Cela n'avait aucun rapport avec l'exaspération manifestée au vieux Forum lorsque les choses allaient mal.

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On ne connaît pas le seuil de tolérance de Geoff Molson. Cet élément demeure la grande inconnue du dossier. Les prochains jours nous en diront plus long.

N'en reste pas moins que changer de DG en cours de saison est un événement rare. Cela traduit de l'instabilité et de la panique. Et ce n'est pas rendre service au successeur, dont les mains sont plus ou moins liées jusqu'à la fin de la saison. Aujourd'hui, il est difficile d'échanger des joueurs d'impact en raison de leurs clauses contractuelles.

Quant à Gauthier, il serait mal venu de retirer sa confiance à Jacques Martin. Après tout, cette équipe moins forte qu'annoncé porte de plus en plus sa signature.

Gauthier et Martin travaillent ensemble depuis longtemps. D'abord à Québec, puis à Ottawa et Montréal. Avec les Sénateurs, Martin a craint une seule fois que Gauthier le congédie. L'équipe connaissait une mauvaise passe et le DG l'a convoqué à sa suite dans un hôtel de Saint-Louis, avant un match contre les Blues.

Martin est entré dans la pièce avec appréhension. Gauthier lui a simplement rappelé que l'adversité faisait partie de la vie et que l'organisation devait identifier des solutions à l'interne. En clair, il fallait travailler encore plus fort. Je doute qu'il agisse différemment cette année.

Pierre Gauthier pourrait nous surprendre, bien sûr. Geoff Molson aussi. Surtout si le Canadien perd ses trois prochains matchs. N'empêche que, malgré le désarroi des partisans, la pression est moins forte qu'en 1983 ou 1995.

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1. Berry fut réembauché par Serge Savard six semaines plus tard.

Photo: André Pichette, La Presse

Le directeur général du Canadien, Pierre Gauthier, serait mal venu de retirer sa confiance à l'entraîneur Jacques Martin.