En ce matin d'automne, la Tour Gilles-Villeneuve, coincée entre le circuit de l'île Notre-Dame et le bassin olympique, semble isolée.

À moins de s'arrêter au casino, inutile de chercher un endroit pour boire un café dans les environs. C'est pourtant dans ce petit édifice balayé par le vent que se trouve le centre nerveux de la course automobile au Canada.

François Dumontier est assis dans son bureau du troisième étage. Une immense photo d'Enzo Ferrari et de Gilles Villeneuve est accrochée au mur. Des modèles réduits sont disposés sur une table. On se croirait dans le repaire d'un passionné de Formule 1 depuis l'enfance.

L'impression est fausse. C'est la course automobile qui est venue à M. Dumontier, pas l'inverse. Imaginez: c'est littéralement sur le circuit Gilles-Villeneuve qu'il a été recruté en 1994.

«À l'époque, je travaillais pour la société gérant l'île Notre-Dame, qui entretenait des liens avec le Grand Prix, raconte-t-il. Un jour, Normand Legault a arrêté sa voiture près de moi, à la sortie de l'épingle. Il m'a demandé si je voulais passer à son bureau plus tard dans la journée...»

C'est ainsi que M. Dumontier est devenu, au milieu de la vingtaine, directeur des opérations du Grand Prix du Canada.

Aujourd'hui, il est le grand patron de cet événement, mais aussi de la course Nationwide en NASCAR et du Grand Prix Indy... d'Edmonton! Aucun autre promoteur n'organise des courses dans les trois disciplines.

L'ancien du cégep du Vieux Montréal a accompli un solide bout de chemin depuis son premier entretien avec Normand Legault.

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Steve O'Donnell, vice-président des opérations de NASCAR, sera à Montréal cet après-midi afin de souligner la nouvelle entente entre Octane Management, la société de M. Dumontier, et son groupe.

L'époque où M. Dumontier agissait comme sous-contractant de la course Nationwide est terminée. La différence est significative. Au lieu de recevoir une somme en retour de ses services, son entreprise mène les opérations et assume le risque.

Ce changement devrait éviter les dérapages de l'été dernier lorsque les dirigeants américains ont brandi cette menace: si les gouvernements ne pompaient pas 1 million par année dans la course, Montréal pourrait perdre l'événement. Toute l'arrogance du sport professionnel s'est manifestée dans ce pathétique épisode.

Désireux de mettre leur grain de sel, Alexandre Tagliani et Jacques Villeneuve s'en sont maladroitement mêlés, offrant des leçons de macro-économie. «J'étais content que des gens concernés comme eux s'impliquent, mais parfois il ne faut pas trop en dire», dit M. Dumontier.

Maintenant qu'il n'a plus à porter ce dossier mal ficelé au nom de ses partenaires américains, M. Dumontier pourra, au besoin, discuter sereinement avec l'État.

«Les gouvernements ont accueilli favorablement le maintien de la course. Moi, quand j'ai signé avec NASCAR, je l'ai fait en toute connaissance de cause, sachant très bien que je ne reçois pas d'argent de leur part. Je prends un risque d'affaires.»

Ce risque illustre que la demande déposée aux gouvernements était abusive. Il symbolise aussi un espoir: l'obtention d'une manche de la série Sprint, qui regroupe les meilleurs pilotes. Le Nationwide, c'est bien. Mais pourquoi se contenter d'un produit de deuxième niveau alors que Montréal possède les atouts pour réussir en première ligue?

«Si je ne croyais pas qu'un jour on obtiendra une course de la Coupe Sprint, je n'aurais pas pris ce risque, précise M. Dumontier. Je veux consolider le Nationwide. Mais l'objectif, c'est la série Sprint. C'est tellement plus gros!

«Il y a déjà 36 courses au calendrier. Je ne pense pas qu'une 37e sera ajoutée. Certains circuits aux États-Unis vont un peu moins bien. Laisseront-ils un jour leur course?»

Au fond, l'espoir est le même qu'à Québec pour le retour de la LNH: une ville américaine devra ranger les armes. M. Dumontier a manifesté son intérêt aux dirigeants de NASCAR. «Ils ne disent pas non. Depuis 2007, ils ont appris à connaître notre marché et notre organisation.»

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François Dumontier aura un autre dossier important à régler dans deux ans: le renouvellement du contrat du Grand Prix du Canada, qui expirera après la course de 2014.

Les gouvernements versent directement 15 millions par année à Bernie Ecclestone. M. Dumontier, comme promoteur, allonge considérablement cette somme. S'il refuse d'avancer un chiffre, il n'est pas déraisonnable de l'estimer à 10 millions. C'est donc dire qu'il en coûte 25 millions pour que la Formule 1 débarque à Montréal à chaque printemps.

Lorsque les négociations afin de ramener le Grand Prix ont repris après l'impasse de 2009, M. Ecclestone exigeait 175 millions pour cinq ans. Il a obtenu environ 125 millions. Cela ne comblait pas son gigantesque appétit, mais il a subi la pression des écuries, qui apprécient ce passage à Montréal devant des gradins bondés.

Dans ce contexte, M. Dumontier ne craint pas la concurrence de la région de New York-New Jersey, qui a obtenu une course pour 2013, même si cela n'a pas été confirmé par M. Ecclestone.

«Je pense que notre organisation devrait être impliquée dans ce Grand Prix, dit-il. Il faut optimiser les deux événements. Les Américains ne nous laisseront pas devenir les détenteurs de droits, mais on a une expertise à offrir.»

En succédant à Normand Legault, un homme doté d'une exceptionnelle feuille de route, François Dumontier s'est retrouvé devant un gros défi. Il semble bien armé pour le relever.

Photo: AP

Une manche de la série Sprint à Montréal? «Je veux consolider le Nationwide. Mais l'objectif, c'est la série Sprint, dit François Dumontiwer. C'est tellement plus gros!»