En confiant la succession de Jacques Martin à Randy Cunneyworth, un unilingue anglophone, Geoff Molson et Pierre Gauthier ont brisé le contrat implicite qui les lie aux Québécois, basé notamment sur le respect de la langue de la majorité.

Au Québec, le Canadien n'est pas seulement une équipe de hockey. C'est aussi une institution, comme je l'ai écrit samedi sur LaPresse.ca. Et comme toute institution, elle a des responsabilités envers son milieu. Parmi elles, la défense et la promotion du français. Ce week-end, le Canadien a abdiqué ses responsabilités.

Depuis le milieu des années 50, tous les entraîneurs du Canadien ont parlé le français. Toe Blake était bilingue et Bob Berry pouvait soutenir une conversation. Seul le bref passage d'Al MacNeil derrière le banc en 1970-71 a fait exception à cette règle.

En entérinant la décision de Pierre Gauthier, Geoff Molson a fait preuve d'un manque de sensibilité. J'aurais aimé lui donner voix au chapitre dans cette chronique, présenter ses arguments. Ma demande d'entrevue a été refusée. M. Molson, m'a expliqué le Canadien hier, ne veut pas commenter une «décision hockey» de son directeur général.

Une «décision hockey»? Si Geoff Molson ne voit pas dans le choix de Cunneyworth une dimension autre que sportive, s'il ne décode pas son aspect social et s'il ne mesure pas sa signification symbolique, cela augure mal pour la suite des choses. Et on peut croire que la place des francophones au sein de l'équipe s'étiolera toujours davantage.

En ce sens, le choix de samedi constitue une rupture profonde avec le passé. Cunneyworth, signe des temps, ne s'est même pas senti obligé de saluer dans leur langue les milliers d'amateurs francophones ayant regardé à la télévision la conférence de presse annonçant sa nomination.

Une courte phrase, un bref «bonjour», aurait été perçu comme un signe de bonne volonté. Cunneyworth n'y a pas pensé, ni le Canadien. L'anecdote n'est pas banale. Elle illustre plutôt combien cet aspect des choses est à mille lieues des préoccupations du nouvel entraîneur-chef et de ses patrons.

Au-delà de cette attitude désolante, le Canadien a donné une claque au visage de tous les gens de hockey du Québec. Pourquoi? Parce que l'univers de la LNH constitue un réseau fermé. Pour y accéder, il faut des portes d'entrée.

Si le Canadien ne propose pas ces portes d'entrée aux Québécois francophones, peu importe s'ils souhaitent faire carrière comme joueur, entraîneur ou administrateur, qui le fera? Les Jets de Winnipeg? Les Bruins de Boston?

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Pourquoi l'entraîneur-chef du Canadien doit-il parler le français? La réponse de Serge Savard tombe d'un seul coup: «Parce que l'équipe appartient au peuple».

Savard a raison. Oui, au plan émotif, le Canadien nous appartient. C'est la grande différence avec nos autres équipes professionnelles. Les Alouettes sont la propriété de Robert Wetenhall et l'Impact, de la famille Saputo. Le cas du Canadien est différent. Geoff Molson, comme tous les propriétaires avant lui, est aussi le fiduciaire d'une équipe ayant marqué notre histoire.

Dès hier matin, Savard a manifesté son incrédulité en commentant la décision du Canadien. Interviewé par Guy Simard sur les ondes du 98,5, l'ancien DG du Canadien a livré le fond de sa pensée: l'embauche d'un entraîneur-chef incapable de parler français est «inacceptable».

«Ronald Corey ne m'aurait pas laissé faire ça et je n'en aurais jamais eu le réflexe, a-t-il dit. Par respect pour 80% de la population du Québec.»

Imaginez la réaction à Toronto si les Maple Leafs embauchaient un entraîneur-chef unilingue francophone. Il s'agirait d'un manque d'égard envers leurs partisans, qui seraient bien en droit de se demander pourquoi cet homme qu'ils voient tous les jours à la télévision ne peut s'adresser à eux dans leur langue. C'est une faute semblable que le Canadien vient de commettre à Montréal.

Lorsque je lui ai parlé hier midi, Savard m'a rappelé à quel point le Canadien avait négligé le talent québécois au cours des dernières années. «Il y a eu un laisser-aller. Le nombre de recruteurs a chuté.»

Au fond, ce qui s'est produit samedi n'est que l'aboutissement logique d'une inquiétante glissade amorcée il y a plusieurs années. Je croyais Geoff Molson capable de la freiner, peut-être même de renverser la vapeur. Sous les conseils de Pierre Gauthier, il est plutôt en train de l'accélérer.

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Officiellement, la nomination de Randy Cunneyworth est à titre intérimaire. Comme si l'équipe avait été prise au dépourvu et qu'il s'agissait de la seule solution envisageable à court terme.

Cette interprétation ne cadre pas avec la personnalité de Pierre Gauthier, un homme méthodique et rigoureux. Pensez-vous vraiment que le DG du Canadien aurait amorcé le calendrier sans être certain de compter sur un plan B si les choses ne fonctionnaient plus avec Jacques Martin?

Lorsque Guy Boucher a quitté Hamilton pour Tampa Bay, Gauthier a choisi Cunneywoth pour lui succéder. L'été dernier, il l'a installé aux côtés de Martin derrière le banc du Canadien. Il a ensuite remercié Perry Pearn de ses services à la fin d'octobre, augmentant ainsi l'influence de Cunneyworth.

Gauthier, aucun doute là-dessus, croit depuis longtemps au potentiel de son nouvel entraîneur. Il a simplement oublié de lui faire prendre des cours de français dès son arrivée à Hamilton. Dommage, car après tout, comme l'a dit Gauthier un peu choqué d'aborder cette question, «Une langue, ça s'apprend».

Si Gauthier reste en poste à l'issue de la prochaine saison, Cunneyworth demeurera en place. «On espère que tout va bien fonctionner et qu'on pourra continuer d'aller de l'avant avec ce groupe», a d'ailleurs dit le DG, samedi.

À mon avis, les deux hommes conserveront leur boulot... ou partiront ensemble. Chose sûre, nous ne sommes pas en présence d'un intérim habituel, où le DG annonce qu'il étudiera de nombreuses candidatures la saison terminée.

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Serge Savard le note avec justesse. Le monopole du Canadien au Québec, depuis le départ des Nordiques en 1995, a fait tomber les garde-fous. L'organisation peut désormais agir à sa guise.

Les attentes envers l'équipe sont plus basses que jamais. Le Canadien a réussi à imposer un nouveau principe: une participation aux séries éliminatoires constitue un grand succès.

«À l'époque, on craignait que les Nordiques deviennent l'équipe du Québec, a ajouté Savard. On ne voulait pas que ça arrive à nos dépens et on a agi en conséquence. En 1993, nous avons gagné la Coupe Stanley avec 12 francophones dans la formation.»

Geoff Molson, un jeune gestionnaire qui demeurera longtemps à la tête du Canadien, devrait réfléchir aux propos de Savard. L'ancien défenseur croit au Canada, mais il a toujours été un nationaliste québécois, fier de sa langue et soucieux de la défendre. Dans son esprit, les standards auxquels le Canadien est tenu sont clairs.

M. Molson devrait aussi relire les propos de Pierre Boivin qui, en 2009, admettait comme une évidence le fait que l'entraîneur-chef du Canadien doive parler le français.

Hélas, en cette fin d'année 2011, certaines de nos plus grandes institutions, comme la Caisse de dépôt et le Canadien, ont oublié que la défense et la promotion du français représentent un élément essentiel de notre développement et de notre fierté.

Photo: André Pichette, La Presse

Geoff Molson