Je suis inquiet pour le Canadien. Pas en songeant à cette désastreuse saison qui, à moins d'un rebond miraculeux, est déjà fichue.

Je suis plutôt inquiet pour l'avenir. Les décisions des derniers mois, de la prolongation du contrat d'Andrei Markov au congédiement de Jacques Martin, ne m'inspirent pas confiance. Comment croire que les prochains choix seront plus éclairés?

Tenez, ces jours-ci, on parle beaucoup de P.K. Subban. Compte tenu de son caractère extroverti et de sa propension à en mettre parfois trop plein la vue, des analystes et des partisans voient en lui une intéressante monnaie d'échange. Je comprends pourquoi Subban tombe à l'occasion sur les nerfs des gens. Mais l'expédier sous d'autres cieux le 27 février, date limite des transactions, constituerait une erreur.

On l'oublie souvent, mais P.K. n'en est qu'à sa deuxième saison complète dans la LNH. L'absence de Markov et le départ du vétéran Roman Hamrlik lui ont valu d'énormes responsabilités trop tôt dans sa carrière.

Malgré tout, Subban est un des joueurs les plus utiles à l'équipe. Il patine en moyenne 24 minutes par match, un sommet chez le Canadien. Oui, il commet des erreurs. Mais n'oublions pas qu'il s'aligne pour une équipe médiocre, ce qui ne favorise pas sa progression.

Si le Canadien veut retrouver une partie de sa gloire passée, ce sera en développant ses propres joueurs. C'est ainsi qu'une organisation construit son identité.

P.K. Subban est doté d'une forte personnalité. Tant mieux. C'est la marque d'un gagnant. La confiance en soi est essentielle pour réussir dans le sport professionnel. Il fait partie d'une nouvelle génération de hockeyeurs. À l'organisation de s'adapter et de favoriser son épanouissement.

Avec raison, le public adore Subban. Parce que son jeu est plein d'imagination. Il est rapide, flamboyant, robuste et doué. Sa place est à Montréal.

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Il y a deux mois, j'aurais été renversé que le Canadien se départisse de Subban. Aujourd'hui, je ne jurerais plus de rien. Parce que je n'arrive pas à comprendre où va l'organisation.

Je sais simplement que la décision de remplacer Jacques Martin par Randy Cunneyworth s'est prise trop rapidement, sans en mesurer les conséquences sur les liens avec les partisans. Et qu'elle n'a produit aucun résultat positif en matière de hockey.

Depuis le changement, la fiche du Canadien est de quatre victoires et 10 revers. Suffisait de parler aux joueurs après le match de mercredi, au Centre Bell, pour comprendre qu'ils ont le moral dans les talons. Pas sûr, contrairement à l'espoir de Geoff Molson, que la deuxième moitié du calendrier sera meilleure que la première.

Qui aurait pensé que la saison actuelle se transformerait en pareil cauchemar? Aux quatre coins de la LNH, la réputation de l'organisation est écorchée.

Dans son plus récent numéro, le magazine Sportsnet consacre un long dossier à la «chute de l'empire du Canadien». Mercredi, les analystes du réseau TSN ont commenté l'éventuelle succession de Pierre Gauthier, identifiant six candidats potentiels.

Ces deux exemples illustrent comment le Canadien est désormais perçu à l'extérieur de Montréal: une organisation où règne la confusion, en mal d'un sérieux coup de barre.

Pour réussir sa relance, la direction doit analyser la situation de fond en comble, sans émotivité. Elle doit reconnaître ses erreurs et tirer les conclusions qui s'imposent. Cela demande de l'humilité. Elle doit ensuite mûrir sa prochaine stratégie.

Hélas, je ne suis pas sûr que les choses se dérouleront ainsi. Le risque est grand que le Canadien, emporté par un sentiment d'urgence, tente de colmater des brèches plutôt que de refaire les fondations.

Pourquoi? Essentiellement pour trois raisons.

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D'abord, la haute direction affiche parfois un certain déni de la réalité. Comme si les malheurs actuels étaient le résultat d'accidents de parcours plutôt que de mauvaises évaluations.

À cet égard, il était étonnant d'entendre Pierre Gauthier expliquer, d'un ton quasi pédagogique, l'importance d'aligner de gros attaquants en annonçant la venue de Rene Bourque. Comme s'il s'agissait d'une tendance nouvelle dans la LNH.

Ensuite, lorsque le Canadien sera mathématiquement éliminé d'une place en séries éliminatoires, Geoff Molson ne voudra pas que le scénario se répète la saison prochaine.

Cette attitude, saine dans l'absolu, pourrait aussi mener à des choix pensés en fonction de courtes échéances. Le risque est immense: négliger l'avenir à long terme de l'équipe. Chaque saison, peu importe le sport, des équipes tombent dans ce piège. Pensez aux Raiders d'Oakland qui ont cédé l'automne dernier deux hauts choix au repêchage en retour du quart-arrière Carson Palmer.

Enfin, au fond d'eux-mêmes, Geoff Molson et Pierre Gauthier sont sûrement ébranlés par les récents événements. Un gestionnaire avisé, qui refuse de se mentir à lui-même, s'interroge toujours lorsque le plan adopté ne produit pas les résultats attendus.

Dans ces circonstances, M. Molson devrait prendre du recul. Mais les impératifs du hockey professionnel, cette machine fonçant à 200 kilomètres à l'heure, n'offrent pas toujours ce luxe.

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Oui, je suis inquiet pour le Canadien. Mais pas découragé.

L'organisation, ne l'oublions pas, possède plusieurs atouts. Au plan sportif, elle aligne de bons jeunes joueurs qui continueront de s'améliorer. Au plan commercial, elle compte sur des partisans enthousiastes et patients.

Cela dit, le Canadien devra réorienter son tir afin de renverser la situation actuelle. Et ne pas céder une nouvelle fois à la panique. Celle du 17 décembre coûte déjà assez cher.

Photo: Bernard Brault, La Presse

L'absence d'Andrei Markov et le départ de Roman Hamrlik ont valu d'énormes responsabilités à P.K. Subban trop tôt dans sa carrière.