Au coeur du déficit de la Caisse de dépôt et placement, il y a le fameux papier commercial. Vous l'avez entendu comme moi cent fois plutôt qu'une: M. Henri-Paul Rousseau, ex-PDG de la Caisse, aurait trop acheté de papier commercial.

Passons maintenant au vox-pop. Bonjour, monsieur, qu'est-ce donc que ce fameux papier commercial dont on nous rebat les oreilles depuis des mois?

Le monsieur: Euh, du papier journal, je suppose?

La madame: Oui, oui, c'est bien ça, du papier journal.

Moi? Je n'aurais pas dit papier journal. Je viens de l'imprimerie, comme vous le savez, et dans l'imprimerie, le terme «papier commercial» désigne tous les papiers sauf le papier journal. Papier à imprimer des livres, des affiches, des carnets, des registres, papier cadeau, mais surtout le papier kraft, ce papier brun d'emballage tout usage. Je me suis réellement demandé pourquoi diable la Caisse de dépôt avait tant acheté de papier kraft; je savais qu'on pouvait spéculer sur à peu près n'importe quoi, mais sur du papier kraft?

Mais non, m'a dit mon collègue Claude Piché avec sa bonté habituelle, mais quand même un peu désespéré comme chaque fois que je l'appelle; mais non, mon vieux, papier dans le sens de papier-monnaie. Des titres, tu comprends, des titres!

Je suis pas en train de faire mon petit comique. Vérifiez. Demandez autour de vous. Chéri, c'est quoi, au juste, du papier commercial? Je ne suis pas en train de faire mon petit comique, mais il y a quand même quelque chose de drôle; c'est quand Mme Marois martèle: Les Québécois veulent savoir!

T'es sûre de ça, madame Chose?

La liberté

Vous savez comme je suis grand amateur de morticoleries. Mais en fait, c'est même pas moi, c'est ma fiancée qui part toujours à rire en lisant la page des décès (oui, oui, j'y ai pensé: un jour, ça sera le mien). Mais l'autre jour, c'était pas encore le mien, c'était ce grand-papa qui, selon l'expression consacrée, laissait dans le deuil sa femme, ses enfants et une vingtaine de petits-enfants tous prénommés normalement - Louise, Hélène, Christophe, Janic, Ève, Sébastien, etc. -, sauf quatre: Hirondelle, Caribou, Wapiti et Co-a-sou (?).

Au lieu de déconner comme d'habitude, je me suis posé la question: cout'donc, y a-tu une limite? Y a-tu une loi qui interdit d'appeler ta fille Bric-à-Brac, mettons?

Non, y en a pas.

Y en a déjà eu. Quelqu'un a déjà voulu appeler son fils Spatule. Il s'est fait refuser. Puis il y a eu ce couple de journalistes qui a appelé leur fille Juliette C'est-un-ange, ce qui leur a d'abord été refusé; mais ils sont allés en Cour supérieure et ils ont gagné. Depuis, tu peux appeler ta fille Marie-Christine-c'est-mon-petit-canard-coincoin; c'est bien correct.

Quand le fonctionnaire de l'état civil qui enregistre les formulaires que les parents doivent remplir à la naissance de leur enfant tombe sur un prénom vraiment curieux, il en réfère au directeur de l'état civil. Le directeur joint les parents dans les cas limites:

Vous êtes bien certain de vouloir prénommer votre fils Tondeuse-à-Gaston?

Oui, monsieur.

Ça finit là. On vit dans un pays extraordinaire où la liberté d'appeler ses enfants comme on veut s'étend d'une mère à l'autre.

Excusez-moi de m'excuser

Le monsieur au téléphone me félicite de mon beau programme mais conclut: Dommage que votre chronique d'aujourd'hui se termine par une grosse faute de français.

Ni froissé - je fais plein de fautes de français, d'orthographe et de frappe; vous devriez voir ma copie avant que les correcteurs passent dessus! - ni froissé, ni étonné, je lui demande: Ah oui? Quelle faute?

Votre chronique se termine par: je m'excuse.

C'est une faute?

Bien sûr. Il faut dire: excusez-moi. Et le monsieur de m'expliquer: Littéralement, je m'excuse signifie Je excuse moi; on ne peut pas excuser soi-même. D'ailleurs, ce n'est pas ce qu'on veut faire; on demande aux autres de nous excuser. Pour cela, il faut dire: excusez-moi.

J'ai raccroché pour découvrir que les gens autour de moi donnaient raison au monsieur et que même mon Petit Robert décrète en toutes lettres: Je m'excuse s'emploie incorrectement pour excusez-moi.

J'avais hâte d'arriver chez moi pour voir ce qu'en dirait ma grammaire Grevisse. Ah! Je savais bien: C'est À TORT que des puristes rejettent je m'excuse employé pour excusez-moi. En illustration, des exemples pris chez Flaubert, chez Proust et chez Bernanos. Pas vraiment des gens auxquels on peut donner des leçons de grammaire.

Prenons cette phrase chez Flaubert dans Madame Bovary: La vieille bonne s'excusa de ce que le dîner n'était pas prêt. Quand on connaît un peu Flaudert, son génie et sa passion de la langue, son obsession d'écrire juste, on ne peut pas imaginer Flaubert ne s'interrogeant pas sur ce pronom réfléchi qui réfléchit si mal selon les puristes. S'il avait eu le moindre doute, Flaubert, qui revenait cent fois sur sa copie au point de n'en laisser qu'une phrase à la fin de la journée, s'il avait eu le moindre doute, Flaubert eût facilement pu corriger, par exemple: La vieille bonne pria qu'on l'excuse de ce que le dîner n'était pas prêt.

Savez-vous pourquoi il ne l'a pas corrigé?

Parce que même obsessivement pointilleux, Flaubert n'était pas con comme le sont les puristes. Il comprenait que le génie de cette langue ne doit rien à ces analyses bébêtes premier degré du genre: je excuse moi. C'est d'ailleurs Flaubert qui a dit un jour (enfin, je suis presque sûr que c'est lui qui l'a dit): il n'y a aucune espèce de génie à masturber une mouche avec des gants de boxe.

C'est pourtant pas compliqué: par convention, convention consacrée par l'usage depuis bien avant Flaubert, je m'excuse a le sens de je vous présente mes excuses. Ce que je ne ferai pas. J'attends plutôt les vôtres.

*** 

Il y a peut-être plus pressé au Québec que de s'excuser de la bonne façon. Des profs qui enseignent l'histoire en troisième secondaire sont en train de se monter une collection de perles glanées dans les textes de leurs élèves ; quelques-unes amuseraient prodigieusement Flaubert: aseillé (essayer), aubéir, auffrire, un castaure, une ipotaise, n'autre (nôtre), un serqueil... Quant à l'acte de Québec, qui rattachait notamment le Labrador au Québec, il est devenu Le lac de Québec qui s'étendait jusqu'au L'abradort grâce à l'Anglataire Brithanique.