Je suis un sportif moyen. Pas un athlète moyen. Vous confondez toujours : sportif et athlète. Je n'ai jamais été un athlète. À 15 ans je m'essayais au demi-fond, je ne me souviens plus de mon temps sur 1500 et c'est normal que je ne m'en souvienne pas. À 18 ans, je jouais au basket, deux ou trois minutes par match pas plus, joueur sur le banc dans une ligue intermédiaire. À 30 ans, je jouais encore au basket, dans une ligue de garage à Pointe-aux-Trembles, mais là non plus je n'étais pas de niveau. Après, je me suis mis très sérieusement au vélo avec des résultats... bof.

Je n'ai jamais été de l'élite des sportifs ordinaires, eux-mêmes à des années-lumière d'une simple invitation à un modeste championnat régional. Aujourd'hui? Cela ne s'est pas arrangé, évidemment. J'aurai 69 ans cet hiver. Je pèse 200 livres. Je viens de faire une phlébite.

Alors, quand je monte la Joy Hill, une côte à plus de 12%... ai-je dit 200 livres? 203 ce jour-là, je me suis pesé en revenant.

C'était la première fois que je la montais cette année. J'y pensais depuis la veille. La Joy Hill, je vous en ai parlé mille fois dans cette chronique, la Joy Hill vient me chercher dans ce que j'ai de plus angoissé et de plus vulnérable. Je ne fais pas du vélo dans la Joy Hill: je me pratique à mourir.

Du pont sur la rivière aux Brochets, à la pancarte au top des vergers, au mieux de ma forme, je la montais à 12 km/h. Là, j'étais à huit et demi. Imagine, quand tu jogges tranquille, à pied, t'es déjà à 10. Huit et demi à vélo, t'es au bord de tomber. Avec les anticoagulants que je prends, si je tombe et me coupe... mais une hémorragie interne serait pire encore. Non, je n'ai pas de casque. J'en ai un, mais je ne supporte pas la sangle sous le menton, je ne supporte pas les sangles en général. Oui, je sais, y'a plein de sangles sur les camisoles de force.

Je suis au tiers de la bosse quand je croise un cycliste qui descend à toute vitesse. Il me reconnaît. Fait demi-tour et revient pour me saluer. Je l'entends avant de le voir :

Oh, oh, M. Foglia, la phlébite va mieux!

D'abord, je fais le saut. Cette voix qui éclate comme un coup de clairon dans mon dos. Et comment sait-il pour la phlébite? Sans parler de mon orgueil. Je comprends que c'est le cycliste que je viens de croiser, il est revenu sur moi en deux minutes, dans le plus pentu de la Joy Hill, MA Joy Hill, et là, il pédale à côté de moi comme s'il était sur une piste cyclable à Saint-Lambert. Je commence à l'engueuler. Il me laisse aller un moment puis me dit, en mettant le doigt drette sur le bobo: le petit monsieur (c'est moi, ça, le petit monsieur) devrait travailler sur son orgueil!

Il m'a scié. J'ai mis pied à terre et je suis devenu une machine à shooter d'la marde. Me prends-tu pour un zoo, sacrament? Quand je commence à tutoyer les gens que je ne connais pas, je ne suis plus très loin du meurtre.

Il est reparti. Plus loin, j'y ai repensé : comment savait-il pour la phlébite?

Il faut absolument que ce soit le médecin du CLSC de Bedford qui m'a pompé du sang un samedi. Ou le pharmacien qui m'a donné mes seringues d'éparin. Avec le casque, on ne reconnaît personne. Et puis j'avais ce voile noir devant les yeux.

Anyway, à l'un ou l'autre, mes excuses.

REVOILÀ LES MONSTRES - On continue à vélo. Départ en fanfare du Tour de France samedi prochain de Monaco, en fanfare parce que, au lieu de l'habituel prologue, il y aura ce contre-la-montre de 15 kilomètres qui va camper les positions dès le départ.

Drôle de parcours qui évite complètement l'ouest et le nord de la France. On sera dans les Pyrénées et Barcelone six jours après Monaco, on remontera jusqu'en Alsace, pour redescendre et être en haut du Ventoux la veille de l'arrivée à Paris. Mais tout cela ne vous fait pas un pli, vous avez une seule question : que fera Lance Armstrong?

Il s'en trouve pour dire - les plus nombreux - que sur ce qu'il a montré au Tour d'Italie, il ne gagnera pas. Il s'en trouve d'autres pour dire exactement le contraire: sur ce qu'il a montré à la fin du Tour d'Italie, hé! hé! il peut surprendre son coéquipier et grand favori, Alberto Contador. Je n'en sais rien vraiment, mais j'ai envie de pencher du côté des derniers, j'ai envie de voir gagner encore une fois le monstre. Un Tour de France sans démesure, sans résurrection, c'est un peu long. Ce Sastre qui a gagné l'an dernier, quel céleri! Et ce Menchov qui vient de gagner le tour d'Italie, il a à peu près autant de charisme que l'employé de la semaine de la caisse populaire de Notre-Dame-de-Stanbridge.

Contador, c'est déjà mieux, mais cela voudrait dire qu'Armstrong serait son domestique. Armstrong domestique au Tour de France? Le roi qui sert la soupe aux invités dans son propre royaume?

Je m'abstiens de tout pronostic, mais mon ami Pépé Marinoni, que je n'ai pas vu se tromper souvent, fait dire de ne pas oublier le plus jeune des frères Schleck, Andy, qu'il voit sur le podium avec Armstrong et Contador.

Non, Pépé n'est pas tombé sur la tête. Mais il est tombé quand même l'autre jour lors d'une sortie avec ses vieux copains, anciens coureurs comme lui: cinq côtes cassées, poumon perforé, il parle de ne plus jamais remonter sur un vélo. Il dit n'importe quoi. Pépé et moi, on a un truc en commun : on ira à notre propre enterrement à bicyclette et, cette fois, c'est pas sûr qu'il arrivera avant moi.