Quand sort un nouveau film et que la critique crie au génie, que le public en rajoute, bref quand c'est le délire dans la salle et dans la province, je ne me souviens pas de ne pas avoir été déçu quand un mois, un an, cinq ans plus tard je vois le film à mon tour. Des fois juste un peu déçu, des fois pas loin de la consternation, je pense à La grande séduction qui n'est pas si nul. Ce qui m'a consterné, c'est de me retrouver si loin de cette enthousiaste unanimité, de me sentir tout à coup comme un crisse de Bulgare qui vient de débarquer et qui ne comprend rien à rien.

Je suis en train de vous expliquer pourquoi J'ai tué ma mère traînait sur la table à café depuis plusieurs jours, j'empile des livres et journaux dessus comme pour le faire disparaître, ce ne sera pas ce soir non plus, ce soir il y a Canadien-Philadelphie à la télé, on est quel jour aujourd'hui, fiancée? Jeudi? Ah fuck, c'est demain le match contre Philadelphie.

Regarde donc le film, qu'elle me dit. Elle l'avait vu, elle. Et bien aimé. Mais elle a aimé aussi La grande séduction.

Pour tout dire, ce Xavier Dolan me tombe sur les nerfs, son toupet surtout, cette rosace de cheveux plaquée sur son front qui, par extraordinaire, tout en lui cachant le front, lui en donne tout le tour de la tête. C'est pas net, non?

Mais bon, puisqu'il n'y a pas de hockey. Allons-y pour un petit film gentil, un ado aime tellement sa maman qu'il l'haït, comme c'est original, on va sûrement apprendre aussi qu'il est un peu gai mais sans appuyer pour ne pas nuire au box-office. Sa maman trouvera ça cool, et ça se finira au bord de la mer, les deux assis sur un rocher, le toupet retroussé par le vent du large, avec les mouettes qui crient ou les goélands ou les fous de Bassan ou peut-être bien des canards, j'sais-tu, moi.

J'ai mis le CD dans mon ordi en soupirant. Allez. Play. Je t'avertis, j't'éjecte si tu me play plus et je retourne au texte de Sollers sur l'obscénité que j'étais en train de lire.

Monsieur Sollers, quel est le vrai sens du mot obscénité?

Le vrai sens du mot, c'est: est obscène ce qui est rigoureusement interdit par une société à une époque donnée.

Interdit par la loi?

Par la société, je vous dis. Ce qu'elle refuse profondément, viscéralement.

Par exemple?

La poésie.

La poésie est obscène?

Totalement.(1)

Je t'avertis, Xavier Dolan, tu cours contre Sollers, parfois exaspérant, parfois illisible, mais jamais une banalité, jamais une pouaisie.

Allez, play.

Ont suivi 100 minutes de bonheur cinématographique. Je ne suis pas retourné à Sollers en me disant je finirai le film plus tard. Je suis content d'avoir deviné la scène de la fin, mais je suis surtout très content de m'être trompé pour tout le reste.

L'homosexualité n'y est pas effleurée. Elle y est pleinement assumée par deux ados encore au secondaire, amoureux, tendres et beaux. C'est pas du tout un petit film gentil, ni méchant d'ailleurs: c'est un film brillant, intelligent. Incroyablement bien écrit par un ado. Formidablement interprété par Anne Dorval et Dolan. Je sais, je répète ce qui a été écrit cent fois à propos de ce film, mais vous ne vous doutez pas comme cela me fait plaisir, de ne pas être bulgare pour une fois. Une grande première.

L'innocence

En 2008, au Canada, l'âge du consentement (à toute forme d'activité sexuelle) est passé de 14 à 16 ans. Pourquoi je vous dis ça? Précisément pour vous dire que la loi de ce pays pourtant pas particulièrement olé-olé permettait, avant 2008, à un ado de 14 ans de consentir à des relations sexuelles avec, par exemple, un ami de son père âgé disons de 36 ans.

Pas question ici de pédophilie.

Il est vrai que la loi insiste longuement sur ce qu'est le consentement: cette relation ne doit pas être une relation d'autorité, de confiance ou de dépendance, ce qui interdit de facto les relations incestueuses, également les relations élève-prof, entraîneur-athlète, etc. Dans les autres cas, comme dans l'exemple précité, la preuve reste à faire que la relation tombe sous le coup des exceptions à la loi qui, je le répète, permettait à un ado de 14 ans avant 2008, 16 ans aujourd'hui, de consentir à des relations sexuelles avec un adulte.

Pourquoi, dans vos courriels après ma chronique de mardi - cette histoire du metteur en scène avec un ado de 14 ans -, ne me parlez-vous que de pédophilie?

Je vous signale encore que la loi aujourd'hui, même si l'âge du consentement est passé à 16 ans, permet à des ados de 14 ou 15 ans de consentir à des relations sexuelles avec un partenaire plus âgé à condition que la différence soit de 5 ans moins un jour. Donc, des adultes.

Après 18 ans tout est permis.

En illustration, non pas pour me moquer de la loi mais des frontières que les lois, je le conçois, doivent bien tirer quelque part, en illustration, cet exemple à peine inventé: un auteur culte de 58 ans, invité à donner un atelier de création littéraire dans un cégep, saute une groupie de 18 ans folle comme la marde à l'idée de sucer le maître, c'est pas criminel (je ne pense pas non plus que ce devrait l'être). Dans un autre cégep de province, un gamin de 14 ans, gai, tombe en amour avec son prof d'éducation physique, 29 ans, 3 ans de prison.

Dernière annotation: dans J'ai tué ma mère, l'ado de 16 ans a une relation avec un garçon de son âge. Il est bien chanceux d'en avoir trouvé un. On est dans un film. Dans la vie, à Coaticook, à Trois-Pistoles, pour un garçon gai de 16 ans qui souhaite exulter, c'est pas mal plus compliqué. Papa-maman ne le savent pas, les copains, faudrait surtout pas qu'ils l'apprennent, il y a pourtant ce prof d'histoire, 40 ans, dont tout le monde dit qu'il l'est, allons-y voir.

L'innocence est parfois aventureuse. Je ne voulais rien dire d'autre.

(1) Tiré (et légèrement dénaturé, presque rien, je vous assure) du Discours parfait, Philippe Sollers, Gallimard, page 653.