De ma fenêtre, avec des jumelles, on voit des éoliennes. Une trentaine. Au sud-ouest. Elles sont dans l'État de New York. Par temps très clair, on les distingue, fantomatiques, à l'oeil nu. Ma fiancée s'enthousiasme alors comme une petite fille, regarde, regarde on voit les éoliennes... Elles nous annoncent le beau temps comme des hirondelles.

Mais te rends-tu compte, fiancée?

De quoi?

Qu'elles sont certainement à plus de 50 kilomètres d'ici. Te rends-tu compte des monstres qu'il faut qu'elles soient pour qu'on les aperçoive de si loin? Te rends-tu compte que ces monstres, des gens les ont dans la face matin et soir, en toute saison? En voudrais-tu dans ton jardin?

Dans Le Devoir de samedi, un prof en études urbaines ironisait : «En fait, on pourrait dire que l'éolien idéal - qui ne dérangerait personne - devrait se trouver au fond d'une vallée inhabitée et entre deux montagnes.»

Pourquoi pas, en effet ?

Le même prof un peu plus loin : «L'idéologie écologiste tente de préserver la nature en créant des zones intouchées et à l'abri de tout contact avec l'humain»...

Qu'est-ce que tu racontes, Chose? Des citoyens qui ne veulent pas de la tour Eiffel dans leur jardin, c'est ce que tu appelles une idéologie?

Il y a deux ans, des développeurs éoliens sont venus dans la plaine de Notre-Dame-de-Stanbridge, ont fait semblant de reculer devant la levée citoyenne de boucliers, mais les revoilà. T'appelles ça comment, une idéologie? Une stratégie? On laisse les citoyens s'épuiser dans une première lutte, puis on revient?

Les gens de l'arrière-pays de Bedford ne se battent pas au nom d'une idéologie. Ils ne se réclament même pas de l'écologie. Des phrases comme «le développement durable doit être la réconciliation de l'économie et de l'environnement» s'écrivent bien dans un bureau de prof, beau concept, mais t'as déjà entendu de bruit que ça fait, ces machins-là? Toute la journée, toute la nuit, le dimanche et le samedi aussi? Non, ce n'est pas prouvé que ça rende malade. Mais se peut-il que cela rende fou?

Je ne te parle pas non plus du Paysage avec un grand «P», je te parle d'être assis sur ta galerie et d'avoir ce machin de plus de 100 mètres de haut dans la face, ton espace plein de pales qui tournent, ta maison qui valait 300 000 $ n'en vaut même pas la moitié, c'est de l'idéologie ça?

C'est étrange, n'importe qui dans ce pays peut obtenir un accommodement plus ou moins raisonnable au nom de sa religion, mais dans le même temps, n'importe quel petit développeur de merde peut écoeurer le nombre de citoyens qu'il veut, cent, mille, sans qu'ils aient le moindre recours et cela au nom de la religion commune. Mais non, pas le catholicisme. L'économie.

A-do-rable

Un cadeau, tiens. Voilà longtemps que je vous ai fait un cadeau de lecture. Un livre que vous allez a-do-rer. Cela s'appelle Zazie dans le métro, mais qu'est-ce que je raconte, je suis complètement dans les patates, cela s'appelle La petite et le vieux C'est publié aux éditions XYZ. L'auteur, Marie-Renée Lavoie, enseigne la littérature à Maisonneuve, je ne la connais pas. Ce doit être son premier livre, je ne dis pas cela parce qu'il est maladroit, pas du tout, mais parce que la photo au rabat de la couverture nous montre une toute jeune femme.

La petite et le vieux, donc. C'est l'histoire d'une petite fille et d'un vieux monsieur, le petite est a-do-rable, le vieux monsieur aussi : a-do-rable. Le petite aime beaucoup le vieux monsieur et le vieux monsieur aime beaucoup la petite aussi - cela me rappelle une chanson que je chantais quand j'étais petit et dont les deux seuls vers vont ainsi : ma grand-mère aimait bien les zoiseaux, les zoiseaux aimaient bien ma grand-mère, ma grand-mère aimait bien les zoiseaux, les zoiseaux aimaient bien ma grand-mère, comme ça pendant des heures, je la fredonne encore des fois quand il pleut et que je n'ai rien à lire, ou même des fois quand j'ai quelque chose à lire de pas trop compliqué; ta gueule, finit par dire ma fiancée pourtant jamais grossière.

Pour revenir au livre, la petite du titre est un sacré numéro, comme on dit, comme souvent les petites filles dans les romans, vous l'aviez peut-être remarqué. Bien sûr, le vieux monsieur est... tiens, on va voir si vous vous y connaissez en littérature, cochez la bonne réponse :

Le vieux monsieur est bourru

Le vieux monsieur est daltonien

Le vieux monsieur est luxembourgeois

Bourru, bravo, je vous félicite. Vers le milieu du roman, la petite offre au vieux monsieur un livre, pas n'importe quoi - l'auteur est prof de littérature, rappelez-vous - Le vieil homme et la mer, c'est le livre, il y a un punch à propos de ce cadeau, je l'avais deviné mais peut-être pas vous et je ne veux pas gâcher votre plaisir. Le livre commence par une citation de Romain Gary, mais elle aurait aussi pu être tirée du Catcher in the Rye, ou de Queneau, voilà je ne peux vraiment pas vous tordre le bras plus que ça, si vous ne lisez pas ce livre-là non plus, alors c'en est bien fini de la lecture, celui-là a vraiment été écrit pour être lu, croyez-moi.

J'exagère comme toujours. En fait, vous pouvez aussi attendre le film, c'est bien parti pour ça.