Quand j'écris sur l'éducation - samedi -, l'écho est toujours vibrant, prolongé, l'impression que la chronique devient un exutoire pour de nombreux enseignants : Vos notes éducatives m'ont fait un bien énorme. Nous, les enseignants, n'avons pas le droit de dire comme vous le dites que l'intégration ça ne marche pas. Surtout quand ça ne marche pas ! Pas le droit de le penser non plus. Pas le droit non plus de dire, comme vous, que l'école devrait être le lieu de transmission du savoir, que le lieu pour apprendre à vivre devrait être la famille.

Je redonne la parole aux enseignants plus loin, mais d'abord ceci. Vous avez peut-être noté que samedi, en page cinq de notre cahier Forum, était publiée l'exacte contrepartie de ma chronique. C'est un hasard. Les deux textes ne se répondaient nullement. Ils sont campés sur deux positions irréconciliables. Je relève, ici, le passage qui marque justement le point de rupture. Éclairant.

L'école, concluent les deux auteures du texte de Forum, l'école, le seul système obligatoire pour tous au Québec, est présentement un miroir des inégalités sociales. Complètement d'accord. Comment ne le serais-je pas ? Pas juste au Québec. Pas juste présentement. Je ne vois pas très bien comment l'école (publique comme privée) pourrait ne pas refléter les inégalités sociales.

Nous ne disons pas que l'école produit les inégalités sociales, nous disons qu'elle continue à reproduire ces inégalités... Clairement les auteures le regrettent. Clairement elles pensent que l'école devrait être égalitaire. Nous voici au noeud de notre différend. Nous voici dans la mouvance gogauche qui rosit toute la réforme scolaire, c'est bien ce qui me dérange d'ailleurs : je suis censé être gogauche moi-même, et je ne m'y reconnais pas.

Les inégalités sociales sont-elles sources d'échec scolaire ? Probablement. Souvent. Vous n'aurez pas grand effort à faire pour me convaincre que le bobo est dans le Système. Avec un grand «S», ce Système-là qu'on finira bien par changer en votant pour Québec solidaire. Je plaisante. Mais qu'est-ce que le système scolaire vient faire ici ? En quoi un système scolaire égalitaire pourrait-il aplanir, corriger les inégalités sociales ? Expliquez-moi. La société exclut les pauvres. Bien. Mais vous, petit comique, vous les intégrez à l'école ? Comme c'est astucieux.

Voyons si j'ai bien compris. Voici Ticul, élevé dans un milieu de grande pauvreté, pas n'importe quelle pauvreté, la pire, la désorganisée. Zéro culture, zéro maîtrise du langage, zéro curiosité. Pas grave. Grâce à l'école, tadam, on l'inclut. C'est le mot clé : inclusion. Et hop là le voilà égal. Suffit de ne pas l'évaluer. De le soustraire à toute forme de sélection pour ne pas ajouter à l'inégalité du départ. La sélection, c'est l'exclusion. Puis on va s'arranger pour qu'il ait des bons résultats. Quarante-trois fautes ? Pas grave. T'as traité la prof de pute ? Pas grave non plus. On va parler à ta prof, on va lui demander d'accorder un peu plus d'importance au dialogue.

Le pire c'est que Tipit finit par décrocher pareil. Si un jour il raccroche, et c'est relativement fréquent, ça lui viendra tout seul, généralement au début de l'âge adulte, l'envie soudaine de finir son secondaire.

L'école, la mienne, la vieille, que je croyais pourtant de gauche, à tout le moins républicaine, ne se bâdre pas de corriger les inégalités sociales, elle ne s'emploie pas à éviter des sélections qui surviendront de toute façon tout au long de la vie. Elle prend acte. Elle ne cherche pas à maquiller rien, pas exemple par un système d'évaluation qui noie le poisson. Elle ne refait pas le monde. Elle l'enseigne.

Une enseignante : j'enseigne à des enfants «normaux» avec passion et parfois désespoir, les pédagogues ont tout mélangé, les besoins des uns, les droits des autres et la capacité des enseignants à accomplir des prodiges... L'intégration des enfants en difficulté est teintée de pensée magique, les parents de ces enfants pensent que les normaux vont déteindre sur les leurs, ça n'arrive jamais.

Une enseignante : j'enseigne dans une école secondaire régulière mais auprès d'un groupe d'élèves ayant une déficience intellectuelle de moyenne à sévère. J'ai un emploi extraordinaire, je suis assistée par des gens compétents, mes élèves sont heureux, s'encouragent, plaisantent, s'invitent la fin de semaine. Je ne crois pas à l'intégration d'un élève ayant une déficience intellectuelle moyenne à sévère dans une classe régulière... On a l'impression que le but absurde de ces inclusions est que les autres élèves finissent par inviter l'handicapé à leur party du vendredi soir.

Une enseignante : j'ai été appelée à remplacer une collègue dans une classe qui avait une petite Lucie, exactement le même cas, le même handicap, elle criait 30 fois par jour, très fort. Comment enseigner quand t'es toujours interrompue par ces cris ? Il y a pire. Il y a ces deux ou trois élèves à problème, pas handicapés du tout, qui foutent systématiquement le bordel dans une classe et empêchent le prof d'enseigner et les autres élèves d'apprendre.

Une enseignante : votre débat sur l'intégration des enfants handicapés à une classe régulière est un faux débat. Le vrai problème, c'est l'intégration d'enfants violents, agressifs, impolis, paresseux. Ils n'ont droit à aucune aide spéciale. Ils sont intégrés pour profiter de l'influence positive des autres enfants. C'est l'inverse qui arrive : l'ensemble du groupe est grandement perturbé par le comportement de ces enfants.

Une enseignante : mon constat ? Les décisions administratives actuelles des institutions scolaires visent davantage la performance des établissements que celle de leurs élèves.