Je suis bien mal fait pour un journaliste: les grosses nouvelles me lassent tout de suite - pas encore la marée noire; pas encore Tomassi; pas encore les garderies - alors que les petites nouvelles, parfois toutes petites, me restent en tête longtemps. Vous pensez que c'est normal, docteur?

L'autre jour, feuilletant un hebdo français dans une Maison de la presse, je tombe sur cette brève qui parlait d'un pêcheur breton ou normand qui a ajouté à ses activités de pêcheur des sorties en mer pour disperser les cendres des défunts dont c'était la volonté. Activité paraît-il maintenant réglementée: le pêcheur a dû aller suivre un stage de quatre jours - quatre jours! - dans une école technique où l'on enseigne les professions morticoles. Remarquez, ça vaut la peine, à 500 euros l'immersion, ça rapporte plus que la pêche à la crevette.

 

J'avais donc cette petite nouvelle en tête, je ne savais pas quoi faire avec, j'ai appelé au département de la promotion à La Presse, ils m'ont donné une idée. Voici. Je n'ai pas de bateau et je n'aime pas l'eau, mais si telle est votre dernière volonté, j'irai disperser vos cendres à vélo en montant la Joy Hill. Suffit pour cela de vous abonner à La Presse, ça vient en carte-cadeau.

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Seconde petite nouvelle. LaShawn Merritt? Cela ne vous dit rien, c'est normal. C'est un coureur de 400. Champion olympique à Pékin, champion du monde l'an dernier à Berlin. Vient de se faire prendre lors de trois contrôles inopinés, positif à la DHEA (un stéroïde anabolisant). Pour sa défense, Merritt explique: je prends des médicaments pour augmenter la taille de mon pénis.

Juste une parenthèse pour dire que j'étais dans la zone mixte, à Pékin, pour accrocher le Canadien Tyler Christopher après les séries du 400, Merritt est passé en coup de vent, mais j'ai eu le temps de voir son pénis moulé dans son cuissard 1 et, franchement, je ne comprends pas qu'il veuille en augmenter la taille à moins qu'il projette prochainement de copuler avec une hippopotame. Mais bon, c'est pas de mes affaires.

J'ai écrit plusieurs papiers sur la finale olympique du 400 qui allait opposer le roi régnant sur la distance, un Texan, blanc, du nom de Jeremy Wariner et ce LaShawn Merritt.

Deux styles. Une locomotive et une gazelle. Un taciturne et un baveux. Une guerre de souliers aussi. Le Blanc Adidas, le Noir Nike. J'avais même fait une entrevue avec un designer industriel québécois, Michel Lussier, employé d'Adidas à Portland qui a dessiné les souliers de Wariner, des millions en jeu. J'ai dû écrire trois ou quatre papiers sur cette finale du 400.

Deux ans plus tard, pouf. Tous ces mots pour rien, de Pékin à l'imprimerie à Pointe-aux-Trembles des camions qui vont livrer les journaux, des gens en robe de chambre qui ramassent La Presse sur leur palier, La locomotive et la gazelle, en prenant leur café...

Sauf que c'est pas la bonne histoire. Rien à voir avec les locomotives et les gazelles, avec Adidas ou Nike. Une fois, c'était un gars qui voulait se faire allonger la queue. Peut-être que toutes les histoires de sport devraient commencer comme ça: une fois, c'était un gars qui voulait se faire allonger la queue.

Oui, mais quand c'est une fille? Une fois c'est une fille qui s'appelait Geneviève.

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La troisième petite nouvelle n'en est pas une, c'est un ajout au dossier de La Presse du week-end sur le cynisme, le désabusement des citoyens devant la politique et les politiciens.

Dans l'excellente et généreuse entrevue qu'ils ont donnée à ma collègue Katia Gagnon, messieurs Lucien Bouchard et Mario Dumont déplorent abondamment le désabusement de l'électorat.

Les politiciens s'en mettent plein les poches, ne foutent rien, des menteurs, favorisent les petits amis, etc., désolantes généralisations, c'est vrai, d'autres l'ont dit et j'abonde abondamment: malgré toutes ces affaires qui font du bruit, les moeurs politiques n'ont probablement jamais été aussi peu corrompues.

D'où vient alors ce sentiment très fort chez les gens que les politiciens sont croches?

Et si c'était parce qu'ils sont réellement croches? Par nature? Bien sûr que non. Le contraire: par «structure».

Gouverner, c'est choisir, augmenter les impôts ou les taxes, ou les droits de scolarité ou les trois: choisir.

Mais c'est d'abord se faire élire, et se faire élire, c'est le contraire de choisir: c'est se faire choisir. Comment voulez-vous qu'ils ne soient pas croches? D'abord se subordonner à l'électorat, puis le gouverner. Promettre des trucs pour se faire élire, puis constater que leurs engagements vont contre la bonne gouvernance et ne pas les tenir. Comment ne pas devenir croche?

Mais bon, la démocratie est à ce prix et on s'arrange assez bien de cette duplicité structurelle en élisant de temps en temps le parti opposé.

Où ça ne marche plus, ce qui pue, c'est l'énorme place que la politique fait de plus en plus au marketing politique, pour justement faire passer cette duplicité. Ce qui pue, c'est marketer des projets de société, parfois de simples lois avec les mêmes stratégies que pour vendre de la lessive. Ce qui pue, ce n'est pas le sondage qui est après tout une forme de suffrage, c'est, en amont du sondage, le spin doctor qui met son doigt dans le cul de l'opinion publique pour lui faire dire bêêêêê.

Le désabusement du troupeau? Et s'il avait la même source que sa docilité?

(1) Je prépare un essai qui devrait sortir à l'automne dont le titre sera La longueur de la queue: un facteur de performance dans les courses de demi-fond?