Samedi, dans notre cahier Vacances/Voyage, une demi-page de pèse-valises. Je ne savais même pas que cela existait. Je ne pouvais pas imaginer. Cinq modèles. Le genre de truc qui me met en joie, vous n'imaginez pas. La joie de constater une fois de plus combien notre civilisation touche parfois au merveilleux.

Prenez par exemple une famille de paysans du Bangladesh. Le papa, la maman, les huit enfants. Tu leur demandes de quoi ils ont besoin. Vous avez besoin d'eau? OK, tu leur fais creuser un puits. Vous avez besoin d'un peu de terre pour cultiver du riz et des céréales? OK, tu leur donnes quelques acres de terre irriguée. Un meilleur salaire pour les enfants qui travaillent dans une usine de vêtements à la ville voisine? OK, tu doubles le salaire des enfants, au lieu de 2 dollars par jour, 4 dollars par jour. Les voilà tout d'un coup avec de l'eau, du riz, des sous... sont fous comme la marde. Vous êtes contents?

 

Ouiiiiii!

Vous avez bien tout ce qui vous faut?

Ouiiiii!

Avez-vous un pèse-valise? Ha-ha! Vous en sortez un de votre sac et vous le mettez sur la table familiale. Imaginez les yeux des enfants. Hon! Un pèse-valise! Juste au moment où tu pensais que t'avais tout dans la vie, voilà soudain que t'as plus encore. C'est ici, précisément ici, que la civilisation touche au merveilleux.

J'en pleurais samedi. Tu pleures ou tu ris? m'a demandé ma fiancée qui revenait du jardin sans se douter de rien. Les deux mon amour. Je lisais les petites descriptions sous la photo de chaque modèle: la poignée de celui-ci «épouse la forme de la main». Fallait y penser quand même. La poignée de cet autre modèle encore plus ergonomique est carrément «en forme de poignée». Incroyable. Mais le boutte du boutte du raffinement, c'est le modèle «le plus léger sur le marché». Seulement 22 grammes!

Tu t'en crisses-tu que ta valise pèse 84 kilos, ton pèse-valise ne pèse que 22 grammes.

En passant, 22 grammes, 21 en fait, c'est aussi le poids moyen de l'âme humaine. Ça ne peut pas être un hasard.

L'AUTRE MARÉE Obama et la marée noire. Quelques questions auxquelles on n'aura pas de réponse de sitôt: M. Obama et son administration supervisent-ils vraiment les opérations de colmatage? Depuis quand? Washington était-il au courant que BP, dans un premier temps, s'est plus soucié de récupérer le pétrole qui s'échappait que de boucher le trou? La solution étant d'abord technologique, M. Obama ne doit-il pas, de toute façon, s'en remettre à... la technologie des pétrolières?

On dit que M. Obama et son administration sont en train de sombrer dans cette marée noire.

On reparle beaucoup de la supposée insensibilité de M. Bush lors de Katrina. Je ne vois pas très bien le rapport. Une catastrophe secoue, submerge, dévaste, arrache le toit des maisons, on compte les morts, on déblaie les décombres, mais pas celle-ci, l'horreur de celle-ci est dans la durée. Elle s'étale. Empoisonne. Une catastrophe biologique comme on dit une arme biologique.

Rappelons qu'il s'agit de boucher un trou. M. Obama devrait-il descendre lui même dans un scaphandre avec sa petite pelle et son seau?

Ma suggestion est idiote, mais au moins, elle n'est pas qu'idiote. L'argumentaire des nombreux analystes politiques qui reprochent à M. Obama de n'en faire pas assez, ou trop tard, me fait hurler. Quand je pense que ces gens-là sont toujours les premiers à me reprocher mon cynisme. Quand je pense à toutes les conneries qu'ils débitent sur la nécessité d'aller voter.

Il y avait un de ces experts samedi midi à l'émission de Lacombe, j'oublie son nom et c'est aussi bien, il trouvait que M. Obama manquait de compassion, de chaleur, sa suggestion, et c'est ici que je hurle: M. Obama aurait dû aller dîner dans une famille de pêcheurs.

Au lieu d'une trempette vendredi, M. Obama aurait dû passer les trois jours du long congé du Memorial Day dans le golfe.

Euh... excusez-moi monsieur, vous êtes professeur de politique ou de marketing?

Est-ce là ce que vous enseignez à vos étudiants en politique: communiquez, communiquez, il en restera toujours quelque chose? Un trou: shootez des images et bientôt vous l'aurez bouché. L'image d'un président à la table d'humbles pêcheurs. Trois jours en famille sur les plages du golfe, l'image de Michele et des petites qui sortent de l'eau toutes goudronnées.

Savez-vous, monsieur, cette marée noire, eh bien! ils vont finir par en venir à bout. Tandis que cette marée de merde qui submerge la démocratie et qu'on appelle aussi «marketing électoral», je n'en suis pas sûr du tout.

LES GUERRES ASYMÉTRIQUES ET MOI - Jocelyn Coulon, chroniqueur «de guerres», en fait d'opérations de paix, rapportait récemment dans nos pages la réflexion d'un autre analyste de guerre, Edward Luttwak, qui disait à propos de l'Afghanistan que la nouvelle stratégie fondée sur l'augmentation du nombre de soldats occidentaux et la mise en oeuvre de principes de bonne gouvernance mettrait UN OU DEUX SIÈCLES à produire des résultats... pas forcément probants!

Aussi, ce monsieur Luttwak, que Jocelyn Coulon qualifie d'un des meilleurs analystes des guerres asymétriques, suggère de retirer les troupes, d'armer les ennemis des talibans et de laisser les Afghans à leurs us et coutumes.

Ce n'est pas pour me vanter, mais il me semble avoir écrit cela une bonne demi-douzaine de fois depuis 2001, d'avoir écrit, presque dans ces mots-là, «qu'il fallait laisser les Afghans à leurs us et coutumes»... Pour être bien certain qu'on se rappellera que je l'ai dit, j'aimerais que la chose soit gravée sur ma tombe, à côté de «considérable chroniqueur de vélo», à côté de «spécialiste des Balkans», j'aimerais qu'on ajoute: «et probablement le meilleur analyste de guerres asymétriques de toute la Haute-Yamaska».