Je vous raconterai mes vacances une autre fois, d'ailleurs je ne suis pas bien certain qu'elles soient terminées. En vérité, j'hésite à reprendre la chronique. Je songe à me lancer dans une nouvelle carrière: le cinéma. Acteur. Voilà, c'est dit.



L'envie m'en est venue subitement en passant devant la ferme des Édoin, sur le chemin du Bois, où l'on tourne en ce moment un film. Un long métrage avec des acteurs très, très connus. Même moi, je les connais, c'est vous dire.



Le réalisateur, un tout jeune homme, est le fils des fermiers. C'est juste à côté du pont couvert et du petit bois où je cueille les premiers champignons de la saison. Je passe par là à vélo 12 fois par semaine. Le film est tourné à la ferme même, encombrée depuis un mois par les camions de la régie.

C'est dans ce film-là que je voudrais commencer ma carrière. Je pense à un petit rôle de rien du tout. Les gens de cinéma disent un «caméo», mais ce n'est pas français - il faut dire une apparition. J'apparaîtrais donc au moment où l'actrice principale irait chercher son courrier. Elle lèverait la tête, elle dirait: tiens, un cycliste. Moi, je dirais rien. Ou peut-être je dirais bonjour Pascale. Non, pas Pascale, c'est son vrai nom dans la vie. Je ne sais pas son nom dans le film. Bonjour Marie, ou n'importe quoi, même Linda, ça me dérangerait pas.

Comme je le disais au jeune Édoin, je n'ai aucune expérience cinématographique. Par contre, une fois, j'ai fait du vélo à Hollywood. J'étais allé pédaler je ne sais plus quel parc national du coin et, avant de reprendre l'avion, j'avais pédalé Hollywood en suivant un autobus découvert de touristes néerlandais. J'entendais ce que le guide disait, mais c'était en néerlandais. Le seul mot que j'ai compris, à un moment donné, c'est Zsa Zsa Gabor. Je garde de cette visite guidée un souvenir émerveillé.

Le jeune Édoin n'a pas semblé impressionné par mes références hollywoodiennes et je devine qu'il ne donnera pas suite à mon offre. J'ai pourtant une raison très sérieuse de vouloir figurer dans son film. Une raison que je ne lui ai pas encore exposée.

Voici.

Jacob Tierney, cela vous dit quelque chose? C'est ce jeune réalisateur juif montréalais qui, il y a un mois ou deux, a lancé un pavé dans la mare fétide et croupissante de notre cinématographie en déclarant que le cinéma québécois de souche (ouache) ne reflète pas la réalité québécoise parce qu'il ne fait aucune place aux immigrés.

Il a mille fois raison. Je ne comprends pas que notre industrie cinématographique, à l'exemple de la fonction publique, ne se soit pas donné des règles pour corriger cela, règles qu'on pourrait appeler «de représentation positive». Pour être financé, tout film québécois devrait obligatoirement compter dans sa distribution un juif, cinq Haïtiens, deux Pakistanais, deux Indiens des Indes, un Bulgare, trois Libanais, un Iranien, un Russe et un Indien de chez nous, tous en costume national.

Je reviens au jeune Édoin. Quand j'ai vu débarquer sa gang de cinéma dans ma campagne, je n'ai rien dit, mais aussitôt l'immigré en moi s'est senti une fois de plus rejeté. Des actrices et acteurs connus, des producteurs de renom, des techniciens chevronnés, mais des immigrés? Pas un seul. Même pas un Luxembourgeois. Rien.

Je le dis en toute modestie: je pourrais épargner à ce film une autre critique justifiée de nos amis anglos en lui donnant, par ma seule figuration, la dimension multiculturelle indispensable qu'il n'a pas pour l'instant. D'ailleurs, il me vient qu'au lieu de tout simplement dire à mon passage : tiens, un cycliste, la dame qui tient le rôle principal pourrait être plus précise: tiens, un cycliste franco-italo-canadien.

Mais c'est peut-être trop. Je vous dis cela parce la semaine où Jacob Tierney a dénoncé la consanguinité de notre cinématographie, j'ai loué à mon club vidéo un film indo-canadien tourné par un Indien qui vit à Toronto, intitulé Cooking with Stella. Ça raconte l'histoire d'un chef (de cuisine) canadien qui déménage à New Delhi pour y suivre sa femme, qui vient d'y être nommée haut-commissaire.

Une merde, mais une merde! Qui a bien évidemment enchanté le Canada anglais, où faire des films de merde n'est pas si grave pour autant qu'ils soient multiculturels.

Je reviendrai sur le sujet prochainement - je vous parlerai d'un de mes amis qui vient de finir sa thèse de doctorat sur l'absence totale de ratons laveurs dans le théâtre grec, particulièrement dans les tragédies d'Eschyle, de Sophocle et d'Euripide.

Rien n'est jamais parfait, finalement.

VACANCES - Je vous ai ratés, dimanche. Je voulais vous accueillir à la grande douane de Saint-Armand, j'avais mon carnet, mon enregistreuse, comme un vrai journaliste. Pas pu me rendre jusqu'à vous. Je n'avais pas prévu que l'attente serait plus longue pour entrer aux États que pour en sortir. Il fallait bien que j'entre pour vous rejoindre de l'autre côté. Cinquante minutes pour entrer, une file de 2 kilomètres. Quand j'ai commencé à doubler les voitures, ça s'est mis à crier: Get back in line!

Ceux-là, une plaque du New Hampshire, arrivaient du festival Osheaga, où ils avaient vu Arcade Fire la veille au parc Jean-Drapeau. Ceux-ci revenaient de vacances en Ontario. Ceux-là... J'ai viré de bord. C'est vous que j'étais venu voir.

Pis? Ogunquit? Kennebunk? Le parc Acadia?

Moi, c'est un peu plus haut, Monhegan Island, très tard à l'automne, juste avant la neige. On prend le ferry à Port Clyde. Dix milles en mer, un rocher d'une ingratitude presque irlandaise. Ça prend absolument un livre pour s'asseoir sur le rocher. Pas de la fiction, pas de la poésie non plus. Entre les deux : Pessoa... Voyager, perdre des pays...