Parlant d'euthanasie, parlons de mon ami Pierre qui m'a convoqué un jour pour me dire: il me reste un an. Cela avait commencé par un nodule sur un poumon, il y avait eu aussi des pontages, il fumait beaucoup.

Puis on lui a diagnostiqué un cancer de la prostate, ce qui ne l'avait pas tant ralenti, l'hiver en Floride, le golf l'été, son paquet de cigarettes par jour. Cela pendant deux ou trois ans, jusqu'à cette annonce qui m'avait tétanisé, un midi, dans un resto de Granby où nous avions nos habitudes: il me reste un an, peut-être pas.

Il avait décidé avec son médecin de ne plus recevoir de soins. Entendons-nous sur les termes, ils sont importants dans ce débat: son médecin et lui avaient convenu d'interrompre le traitement de sa maladie. On ne s'occuperait que de sa douleur. Une sédation progressive, des doses de plus en plus fortes de morphine jusqu'à «la shot finale».

Ici un flou: la sédation précédait-elle la maladie, la tirait-elle comme un cheval qui tire sa carriole de plus en plus vite à mesure qu'il sent l'écurie, ou bien se contentait-elle de suivre son évolution?

Tout ce que je sais, c'est que nos rendez-vous ont continué, pas tristes du tout. Je me souviens d'un fou rire qui nous avait saisis un midi quand je lui avais dit qu'il me faisait penser à une boîte de petits pois avec une date de péremption dessus.

T'as mal?

Avec ça, non, il avait posé sur la table, à côté de son verre de vin, une boîte de pilules, blanches je crois.

Nos derniers rendez-vous ont eu lieu chez lui. Trop affaibli pour le resto, il marchait difficilement, mais il était assez serein, je me souviens d'une fois où nous parlions d'un combat de boxe, Pacquaio contre je ne sais plus qui, qui aurait lieu en mai, il avait dit d'un ton plat, sans émotion particulière: je ne serai plus là.

Il est resté chez lui jusqu'à la fin, il était inconscient quand on l'a transporté à l'hôpital de Granby où il est mort dans les 24 heures.

Autre petit flou: y a-t-il bien eu une «shot finale» ? Si oui, a-t-elle abrégé la vie de mon ami d'une journée? Deux? Une semaine, un mois, deux mois?

On s'en fout parce que de toute façon - une journée ou un mois -, c'était bien mieux comme ça. On s'en fout sauf que cela fait partie du débat: qu'est-ce que l'euthanasie et qu'est-ce que cela n'est pas?

Pour la plupart des gens, l'euthanasie n'est pas ce que je viens de raconter. Pour la plupart des gens, l'euthanasie, c'est si le médecin, à la requête de mon ami, lui avait fait une ordonnance pour une potion finale: couic, c'est fini.

Doit-on voter une loi qui permette à un malade de mettre fin à sa vie dès lors qu'il se sait condamné? Dieu que je n'ai pas envie de ce débat-là. Dieu que je n'ai pas envie d'une autre engueulade qui ressemblerait tellement à celle sur l'avortement, entre humanistes cathos - la vie est sacrée - et humanistes libertaires - mon corps m'appartient. Juste à l'idée de ce qu'ils vont se dire, j'ai envie d'aller faire un tour de vélo.

Pour ou contre une loi qui permettrait l'euthanasie? J'ai envie de poser une question préliminaire, j'ai envie de demander: est-ce bien nécessaire? Pour l'essentiel, ne vit-on pas déjà dans l'esprit de cette loi qui n'existe pas?

Le parcours de fin de vie de mon ami Pierre, dans son ordinarité même, ne témoigne-t-il pas d'une pratique très, très répandue au Québec, au Canada, un peu partout en Europe?

1 - La liberté de choisir de ne plus recevoir de soins, ce qui est déjà un formidable raccourci. 2 - L'assurance donnée par le médecin qu'on ne souffrira pas et qu'on ne traînera pas en chemin. 3 - La shot finale pour finir ça en toute humanité.

Ce n'est pas légal, dites-vous. Vous êtes sûr? Des médecins de mes amis m'ont déjà dit que, au-delà d'une certaine dose, le remède contre la douleur rapproche aussi de la fin, la shot extrême est donnée pour soulager la douleur extrême, et voyez comme ça tombe bien, elle met fin aussi à la vie du souffrant. Ici les médecins parlent de double emploi, à moins que ce soit de double effet, je ne me souviens plus.

Je repose ma question, est-ce bien nécessaire d'inscrire dans un article de loi ce qui se pratique couramment: médecins et patients s'entendant pour ne pas prolonger indûment une vie qui n'a plus ni sens, ni qualité, ni dignité.

On est loin, c'est vrai, du couic-c'est-fini des cliniques suisses. De l'ordonnance d'une kill pill au Colorado. Du froid légalisme des Hollandais: vous voulez mourir, monsieur? Signez ici.

Il y a de l'exécution capitale dans le droit officiel, inscrit dans la loi, à l'euthanasie. Je trouve le demi-mot, le non-dit, le non-signé, le tacite tellement plus, comment dire? Tellement plus palliatif. Au médecin qui se présenterait à mon chevet avec un formulaire, signez là, je préfère le médecin qui me dira ne vous inquiétez pas, monsieur Foglia, dès qu'on ne pourra plus soulager vos douleurs, cela ira très vite. Je ne lui demanderai pas de détail.

Oui, mais si on tombe sur un médecin d'une autre école? Un de ceux-là qui font la leçon de vie aux mourants? Je demanderais d'en changer... Notons que des statistiques relevées lors des récents débats sur l'euthanasie au Québec nous disent que plus de 75% des médecins, des spécialistes et des étudiants en médecine sont en faveur de l'euthanasie. Du moins dans le flou thérapeutique où on la pratique chez nous.

Je ne suis pas contre une loi, je me demande seulement de quelle utilité elle sera pour le commun des mourants qui, pour peu qu'on leur épargne la souffrance, réclament de mourir dans la dignité, mais, le plus souvent, en même temps, de vivre encore un peu.

On parle beaucoup de ces cas extrêmes de malades végétatifs euthanasiés par des proches qui se retrouvent absurdement devant les tribunaux et en prison. Soit, passons une loi pour eux. Mais qu'on n'imagine pas une loi qui permettra à la jeune femme dans la trentaine qui vient d'apprendre qu'elle a le parkinson, ou au monsieur de 65 ans au début encore conscient de la maladie d'Alzheimer, qu'on n'imagine pas, disais-je, une loi qui permettra à ceux-là de réclamer la kill pill.

Oubliez ça. Même les cliniques suisses où l'on pratique (à grand prix!) le suicide assisté ne recevraient pas la jeune femme de mon exemple ni le monsieur au début de l'alzheimer. La jeune femme ne pourra se rendre en Suisse qu'au bout de son calvaire. Quant au monsieur alzheimer, jamais. Parce que jamais il ne pourra donner son consentement.

Des fois, pour mourir, on ne peut compter que sur soi-même. Cela s'appelle le suicide.

NOTA BENE - Vraiment, mais alors là vraiment rien à voir, cette chronique vous reviendra vendredi, samedi et lundi prochains dans le cahier des sports, elle parlera de vélo et de la gang du Tour de France en représentation chez nous jusqu'à dimanche.